Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/34

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vez faire ce qui vous plaît. Si vous allez sur mer et que vous ne vous y plaisiez pas, libre à vous de revenir ici. Vous y serez tout aussi maître que si vous n’aviez jamais cessé de surveiller vos bestiaux, de faucher vos foins et d’engraisser vos cochons.

— Je ne suis pas mon maître plus que vous, Rupert. Je suis le pupille de votre père, et je dois l’être encore pendant cinq ans.

Kupert se mit à rire, et il chercha à me persuader que, si j’étais bien résolu de ne point aller à Yale, et de ne pas être avocat, je n’avais rien de mieux à faire que de décharger son digne père de toute responsabilité à cet égard en m’embarquant clandestinement. Si je devais jamais être marin, je n’avais pas de temps à perdre ; car il avait toujours entendu dire que c’était de seize à vingt ans qu’il fallait faire l’apprentissage de ce genre de vie. J’étais assez de cet avis, et je me séparai de mon ami en lui promettant de reprendre au premier jour notre conversation.

Je rougis presque d’avouer que les sophismes artificieux de Rupert m’aveuglaient au point de ne plus guère me laisser discerner le bien d’avec le mal. Si M. Hardinge se croyait vraiment obligé, par déférence pour les volontés de mon père, à m’élever pour le barreau, et que ma répugnance pour cette profession fût insurmontable, pourquoi ne pas venir à son secours, en m’arrogeant le droit de décider moi-même et en agissant en conséquence ? Je résolus d’abord d’avoir un entretien avec M. Hardinge, pour savoir si mes parents s’étaient expliqués positivement à cet égard. Je ferais connaître ensuite mon désir d’être marin et de voir le monde ; mais je ne laisserais pas entrevoir que je pourrais bien partir un jour sans rien dire, ce qui n’eût pas été le décharger de toute responsabilité.

Une occasion se présenta bientôt de sonder le terrain ; je demandai à M. Hardinge si mon père, dans son testament, avait ordonné de m’envoyer à Yale et de m’y faire élever pour le barreau. Mon père n’avait rien fait de semblable. Tout au plus le capitaine Wallingford avait-il pu concevoir quelque vague idée que je prendrais un jour cette profession, mais rien de plus. Cette assurance me soulagea d’un grand poids, car j’étais bien sûr que ma mère m’aimait trop pour décider d’une manière absolue dans une question qui intéressait si directement mon bonheur. Questionné sur ce dernier point, M. Hardinge n’hésita pas à dire que ma mère en avait causé plusieurs fois avec lui ; que son désir était que j’allasse à Yale, et que j’étudiasse le droit, quand même je ne devrais pas pratiquer. Dès qu’il eut fait cette communication, le bon ministre s’arrêta pour observer l’effet qu’elle avait produit sur moi. Voyant sans doute une