Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/341

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j’entrevis les mâts d’un bâtiment à l’est du nôtre, et tout à fait dans notre direction. Il était à sec de voiles, courant devant nous le plus droit qu’il lui était possible, mais faisant d’affreuses embardées ; tantôt venant en travers sur bâbord, en courant risque d’être jeté sur le côté ; tantôt s’élançant à bâbord, de telle sorte que sa mâture semblait s’abaisser sur nous. Je n’aperçus sa coque qu’une seule fois, dans un instant où il s’éleva sur une vergue en même temps que l’Aurore, et je crus qu’il allait être lancé dans les airs, quoique ce fût un navire au moins aussi grand que le nôtre. Il était évident que nous nous en approchions rapidement, bien que les navires fissent même route.

L’Aurore gouvernait merveilleusement, ce qui est une très-grande qualité pour un bâtiment dans la position où nous étions. Nous n’avions qu’un seul homme au gouvernail, et il suffisait pour le diriger. Je pouvais voir qu’il n’en était pas de même du navire qui était devant nous, et je m’imaginai qu’il s’était mépris en carguant toutes les voiles. Talcott et les matelots qui étaient dans les mâts n’étaient pas encore descendus, que nous reçûmes un avertissement que nous ferions bien d’imiter la prudence du bâtiment inconnu. Quoique l’Aurore gouvernât si bien, aucun navire ne peut suivre constamment une ligne droite en courant devant le vent par une grosse mer ; tantôt les voiles s’élancent précipitamment devant vous, tantôt elles semblent s’arrêter, comme pour vous permettre de les rejoindre. Quand un bâtiment est soulevé à l’arrière par un de ces torrents impétueux, la barre perd un peu de sa puissance, et l’on dirait que la partie de la vaste machine qui, la première, reçoit la secousse, va changer de place entre les bossiers ; le bâtiment était entraîné par la lame, de manière à mettre le commandant dans un grand embarras. C’est ce qui arrive au navire le plus sensible au gouvernail, et c’est toujours une source de danger par les très-gros temps, pour ceux qui courent devant le vent. Le mérite de l’Aurore était de rentrer promptement sous l’obéissance, et de ne résister presque jamais à la barre, comme le font trop souvent les navires volages. Il y a maintenant, dans la marine militaire, une corvette, qu’il est difficile de diriger à travers une passe étroite par un grand vent, par rapport à ses fortes embardées, parce qu’elle a un penchant à tourner la tête, tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, comme un cheval en gaieté qui secoue sa bride.

L’Aurore portait encore son petit foc, morceau de toile triangulaire, très-utile, en ce que, partant de l’extrémité du beaupré, vers la tête du petit mât de hune, elle l’empêchait d’être engagée, ou de