Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/346

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CHAPITRE XXVI.


À la grande convocation générale, quand le signal du jugement se sera fait entendre, que les îles, les continents et les mers rendront leurs morts ; que le nord viendra avec le midi ; que le pécheur sera terrifié, et le juste tremblant, Dieu te soit en aide, pauvre Tom !
Brainard.


Les équipages des deux navires étaient si pressés de s’éloigner l’un de l’autre, qu’on courait alors dans le creux des lames. La même idée parut se présenter en même temps à mon esprit et à celui de l’autre capitaine. Au lieu de continuer à laisser porter, l’un mit la barre toute à bâbord, l’autre toute à tribord, et nous vînmes tous deux au vent, quoique avec des amures différentes. L’Anglais établit son foc d’artimon, et, quoiqu’il fût secoué d’importance, il courait évidemment moins de danger qu’en fuyant vent arrière. Les lames déferlaient continuellement sur son pont, mais sans causer de dommage matériel. Quant à l’Aurore, elle se tenait à la cape, à sec de voiles, et allait comme un renard sur l’eau. J’avais une voile d’étai de rechange, que j’établis au mât d’artimon. Quelquefois, il est vrai, nos bossoirs rencontraient une lame plus forte, et alors nous recevions une bonne ondée sur l’avant, mais la lame s’éloignait sous le vent aussi vite qu’elle était venue au vent. Vers le soir, cependant, la tempête diminua de violence, le temps se modéra sensiblement, et la mer ainsi que le vent commencèrent à tomber.

Si nous avions été seuls, je n’aurais pas hésité à venir au plus près, à faire de la voile, et à reprendre ma première route ; mais le désir de parler au bâtiment étranger, et d’avoir des nouvelles de Marbre, était si vif que je ne pus m’y décider. Nous étions dix à bord qui l’avions connu, et nous étions unanimes pour attester son identité. Je résolus donc de m’attacher à suivre le navire anglais, pour échanger au moins quelques mots avec mon ancien ami ; je l’aimais de tout mon cœur, tout rude et tout bizarre qu’il était parfois. M. Hardinge excepté, il n’y avait personne au monde à qui j’eusse de plus grandes obligations ; car il avait fait de moi un marin, et je lui devais une grande partie de mes connaissances en navigation ; et puis nous avions tant vu ensemble, que nos existences se confondaient en quelque sorte, et qu’il se trouvait mêlé plus ou moins à tous les incidents de ma carrière maritime.

Je craignis un moment que l’Anglais n’eût l’intention de rester