Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/373

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


CHAPITRE XXVIII.


Écoutez-moi un peu ; car si j’ai gardé si longtemps le silence, c’est pour bien observer la dame. J’ai vu son front se couvrir tout à coup de mille couleurs, plus vives les unes que les autres ; puis mille nuances successives de pâleur céleste vinrent les effacer, sous l’influence du plus charmant embarras.
Shakespeare.


J’arrivai à bord du Wallingford avant onze heures, et j’y trouvai Neb qui m’attendait avec mes bagages. Maintenant que j’étais sur mon propre bord, je donnai ordre de profiter d’un vent favorable, et d’appareiller sur-le-champ, sans attendre le flot. Malgré notre diligence, nous n’entrâmes dans la crique qu’à huit heures du matin le second jour.

Dès que le bâtiment fut près de la rive, je m’élançai à terre, et je gravis la colline. Du haut du chemin, j’aperçus mon tuteur qui accourait à ma rencontre, une lettre qu’il avait reçue directement de New-York lui ayant appris mon arrivée. Il me tendit les bras, m’embrassa avec la même effusion qu’au temps jadis, et j’entendis le bon vieillard murmurer quelques paroles de bénédiction et d’actions de grâces. M. Hardinge était toujours le même. Quoiqu’il eût à sa disposition tous les revenus de sa fille, il était aussi simple que jamais dans ses goûts et dans ses habitudes.

— Soyez le bienvenu, mon cher enfant, mille fois le bienvenu ! s’écria-t-il du plus loin qu’il m’aperçut. Dès qu’on est venu m’annoncer que le sloop était en vue : Il est à bord, me suis-je écrié ; car je jugeais votre cœur d’après le mien. Ah ! Miles, quand donc viendra le temps où Clawbonny suffira à votre ambition ? Vous avez déjà autant d’argent qu’il vous en faut. Une fortune plus grande contribue-t-elle au bonheur ?

— Quoi qu’il en soit, mon cher monsieur, répondis-je, tout en déplorant la perte de votre respectable parente, j’ai à vous féliciter de voir rentrer dans votre famille des biens qui avaient appartenu à vos ancêtres. C’est à ce titre surtout qu’ils doivent vous être chers.

— Sans doute, mon ami, et j’espère que ces richesses ne nous empêcheront pas de rester d’aussi fidèles serviteurs de Dieu qu’auparavant. Toutefois, les biens ne sont pas à moi, mais à Lucie. Avec vous je puis tout dire, quoique Rupert m’ait fait entendre qu’il serait prudent de ne pas faire connaître le véritable état des choses, pour