Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/378

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— J’espère vous porter bien, da, maître ? dit Chloé, qui mettait une certaine prétention dans son langage, depuis qu’elle avait été élevée en dignité.

— Très-bien, ma fille, et je suis charmé de te voir si bonne mine. Tu deviens vraiment jolie, Chloé.

— Oh ! maître toujours rire, — rester maintenant ici longtemps, da ?

— Je crains que non, Chloé ; mais qui sait après tout ? — Où est ma sœur ?

— Miss Grace m’avoir envoyée ici, maître, dire à vous elle être dans la salle de famille. Elle attendre depuis quelque temps, da.

— Merci, Chloé. Veillez à ce que personne ne nous interrompe. Il y a près d’un an que je n’ai vu ma sœur.

— Bien sûr da ! — Alors Chloé, dont la figure luisait comme une bouteille qu’on eût trempée dans l’eau, montra ses belles dents en se fendant la bouche d’une oreille à l’autre dans un accès de fou-rire ; puis elle parut toute sotte ; puis elle reprit son sérieux ; puis enfin son secret s’échappa de son cœur, avec cette voix mélodieuse d’une négresse qui ne sait si elle doit rire ou pleurer : — Et Neb, maître ? où lui être à présent, le gars ?

— Il vous embrassera dans dix minutes, Chloé ; ainsi, tenez-vous bien.

— Oh ! que nenni, — miss Grace m’apprendre mieux que ça.

Je ne restai pas pour en entendre davantage, et je me dirigeai vers la pièce triangulaire, d’un pas si précipité et en même temps si tremblant que, quand j’arrivai, mon agitation me permit à peine de trouver la serrure. Je m’arrêtai un moment pour me remettre, persuadé que, dès que j’ouvrirais la porte, ma sœur se précipiterait dans mes bras. J’ouvris, — un silence de mort régnait dans l’appartement, comme si un des corps qu’on y déposait autrefois attendait l’instant d’être transporté à sa dernière demeure. Ma sœur était sur la causeuse, incapable de se lever par suite de son état de faiblesse et d’agitation. Je n’essaierai pas de décrire ce que j’éprouvai à sa vue ; j’étais préparé à la trouver changée ; mais non pas à lui voir déjà, comme je le sentis à l’instant, un pied dans le tombeau !

Grace étendit les bras, je m’y précipitai, et je m’assis auprès d’elle, la prenant contre mon cœur avec la tendresse d’une mère qui embrasse son enfant. Nous restâmes ainsi pendant plus de cinq minutes sans nous parler, confondant ensemble nos larmes et nos sanglots.

— Que Dieu est bon, mon frère, dit-elle enfin ! vous m’êtes rendu à temps. Je tremblais que vous n’arrivassiez trop tard.