Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/407

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Neb ne se le fit pas dire deux fois ; il avait les pieds façonnés de telle sorte que, sans souliers, il pouvait presque serrer une vergue dans son étreinte. J’avais souvent vu Neb courir sur une vergue de hune, en saisissant la balancine, pendant que le bâtiment était violemment secoué par la lame, et ce n’était qu’un jeu, après cela, de marcher sur le gui du Wallingford, qui lui offrait bien plus de surface. Un cri de Chloé assez distinct m’apprit que le nègre avait commencé sa course. Je regardai dans cette direction, et je le vis en effet s’avancer d’un pas ferme le long du gui, malgré les protestations de Drewett qu’il n’avait pas besoin d’aide ; il arriva ainsi jusqu’au point où le jeune imprudent s’était cramponné à la balancine, tandis que ses jambes flageolaient d’une manière qui commençait à devenir inquiétante. Neb alors fit sa grimace la plus aimable, étendit la main et exposa l’objet de sa visite.

— Maître Miles penser valoir mieux me donner la boîte de miss Lucie, dit-il avec toute la politesse dont il était susceptible.

En dépit de son amour-propre blessé, André Drewett ne fut nullement fâché d’obtenir ce petit soulagement, aussi la boîte fut-elle remise sans la moindre objection ; Neb inclina la tête en la recevant, puis il se retourna aussi tranquillement que s’il avait été sur le pont, et marcha droit au mât du pas le plus ferme. Il s’arrêta un instant, précisément à l’endroit le plus étroit de la vergue, pour se retourner du côté de Drewett, qui disait quelques mots pour tranquilliser sa mère, et je remarquai que, pendant qu’il avait ses deux talons placés sur la même ligne, ses orteils se rejoignaient presque sous le gui, qu’ils étreignaient comme avec des serres. Un profond soupir fut poussé prés de moi, au moment où Neb sauta légèrement sur le pont, et je sus d’où il provenait en entendant l’exclamation connue de : — Le gars !

Quant à Neb, il s’avança, son trophée à la main, qu’il offrit à Lucie avec un de ses saluts les plus gracieux, mais sans se donner des airs de conquérant comme s’il eût accompli un exploit héroïque. Lucie passa le coffre à Chloé, sans détourner les yeux de dessus Drewett, dont la situation semblait lui inspirer plus d’intérêt que je n’aurais voulu.

— Merci, monsieur Drewett, dit-elle en affectant de penser que son adresse avait tout fait, voici la boîte en sûreté, et il n’est plus nécessaire que vous veniez ici ; M. Wallingford va vous fournir les moyens de redescendre dans votre sloop.

Je venais en effet d’expliquer comment je comptais m’y prendre ; mais deux obstacles se présentèrent auxquels je n’avais pas songé : d’abord l’amour-propre de Drewett, qui ne voulait pas avoir l’air de