Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/78

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sur le bâtiment et sur sa cargaison pour sa paie ; et la loi porte avec raison que tout droit aux services cesse avec cette garantie. Il s’en suivait naturellement que, dès que le John était abandonné, nous redevenions tous nos maîtres, et de là l’obligation de nous appeler tous à délibérer, sans même en excepter Neb. À bord d’un vaisseau de guerre, il en eût été tout autrement. En pareil cas la république paie la solde, qu’il y ait naufrage ou non ; et le marin doit achever son temps de service. La discipline militaire conserve tout son empire.

Le capitaine Robbins pouvait à peine parler, quand nous fûmes rassemblés autour de lui sur le gaillard d’avant, les vagues qui couvraient à chaque instant l’arrière nous ayant forcés de nous réfugier de ce côté. Dès qu’il fut maître de lui, il nous dit que le bâtiment était irréparablement perdu. Comment ce malheur était-il arrivé ? Il ne pouvait guère se l’expliquer lui-même, quoiqu’il l’attribuât au fait que les courants ne suivaient pas la direction que, d’après toute saine théorie, ils devaient suivre. Cette partie de son discours ne fut pas parfaitement claire. Je crus comprendre que, suivant notre malheureux capitaine, les lois de la nature, par suite de quelque influence inexplicable, s’étaient écartées de leur marche ordinaire, expressément pour perdre le John. Si ce n’était pas là ce qu’il voulait dire, j’avoue que je n’y compris rien du tout.

Le capitaine fut beaucoup plus explicite après être sorti du courant. Il nous dit que l’île Bourbon n’était qu’à quatre cents milles de distance, et qu’il regardait comme possible d’y aller, d’y trouver quelque petit bâtiment, et de revenir pour sauver une partie de la cargaison, les voiles, les ancres, etc. Nous pourrions en retirer quelque chose, comme droit de sauvetage, qui ferait quelque compensation à nos autres pertes. Ce raisonnement se présentait bien ; c’était du moins donner un mobile actuel à nos efforts, en même temps qu’il dissimulait le danger que nous courions tous de perdre la vie. Aborder à l’île de Madagascar, il ne pouvait en être question ; les habitants à cette époque passaient pour bien moins civilisés qu’il ne l’étaient réellement, et ils avaient très-mauvaise réputation, surtout parmi les marins. Il ne restait donc d’autre parti à prendre que de gréer les embarcations et de partir le plus vite possible.

Ce fut alors qu’on reconnut l’avantage des préparatifs qui avaient eu lieu d’avance. Il restait peu de chose à faire, et ce qui avait été fait l’avait été beaucoup mieux que si on avait attendu que le bâtiment fût à moitié rempli d’eau, et que les vagues le couvrissent à chaque instant. Le capitaine prit le commandement de la chaloupe