Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/144

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mes aventures ; mais on me pardonnera de dire un mot en passant pour justifier nos marins. Il est rare qu’on nuise à quelqu’un sans le calomnier ; et le corps auquel j’appartenais alors se vit accorder très-libéralement, pour tous les griefs dont il avait à se plaindre, cette espèce de réparation qui consiste à démontrer que la partie lésée n’a souffert que ce qu’elle mérite. On nous a accusés de tromper les croiseurs anglais par de faux rapports, et d’être dévorés de la soif de l’or.

D’abord, je demanderai à nos accusateurs s’il serait bien étonnant que des hommes qui se sentent froissés tous les jours dans leurs intérêts et dans leurs droits recourussent aux moyens qui sont en leur pouvoir de se venger. Mais, au surplus, cette accusation est-elle bien fondée ? Sans doute, des institutions qui suppriment toute distinction héréditaire donnent à la fortune une prépondérance fâcheuse ; les travaux de l’intelligence n’obtiennent pas encore chez nous la considération qui leur est due ; et la grande masse de la nation ne regarde les hommes de lettres, les artistes, tous ceux mêmes qui exercent des professions libérales, que comme autant de serviteurs publics, dont on se sert comme de tout autre serviteur et qu’on n’estime que dans la proportion des services qu’ils peuvent rendre. Cela tient à deux causes : d’abord, à ce que la civilisation, d’origine encore si récente, quoique déjà si avancée pour tout ce qui constitue la base de la grandeur nationale, n’a pas encore développé ces qualités supérieures qui distinguent partout la haute société ; et ensuite à ce que, par suite de l’absence de toute contrainte, des déclamateurs grossiers et vulgaires se font entendre et obtiennent un crédit qu’ils n’auraient nulle part ailleurs. Malgré toutes ces imperfections, je soutiens que l’or n’est pas plus l’idole des Américains que celle de toute autre nation active et énergique. Le nombre des jeunes gens qui s’adonnent à la culture des lettres et des arts aux États-Unis est plus considérable qu’on ne le croit généralement en Europe ; beaucoup se livrent aussi à la politique ; tout cela n’est rien moins qu’un moyen de gagner de l’argent. D’où résulte la preuve que si la fortune semble être le seul but de l’existence aux États-Unis, c’est principalement parce qu’il n’y a point d’autre issue ouverte à celui qui veut se distinguer. Mais ces réflexions nous ont entraîné loin de nos bâtiments, il est temps d’y revenir.

Le chemin qu’avait parcouru l’Aurore ne nous laissa bientôt plus