Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/151

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de plus, et à établir les bonnettes du vent. Si John Bull peut être encore quelque temps à courir à tâtons, nous avons une chance d’être à trois ou quatre milles de distance sous le vent, avant qu’il apprenne où nous sommes ; et alors il sera bien fin s’il nous attrape !

L’avis était bon, et je résolus de le suivre. Le vent était vif dans ce moment, et l’Aurore commença à plonger avec une rapidité remarquable, dès qu’elle sentit l’impulsion des bonnettes. La direction que nous suivions alors formait un angle obtus avec celle de la frégate, et nous avions la chance d’augmenter la distance qui nous séparait, assez pour être hors de la portée de la vue, même au moment de l’éclaircie. L’obscurité de l’atmosphère dura si longtemps, que je commençais à espérer beaucoup, quand tout à coup un de nos matelots cria : La frégate ! Cette fois elle nous restait à l’arrière, et à près de deux milles de distance ! Nous avions gagné tant de terrain, que dix minutes de plus nous étions sauvés. Puisque nous la voyions alors, il était évident qu’on ne tarderait pas à nous voir, attendu que, comme nous, on devait être aux aguets. Néanmoins le croiseur courait encore au plus près, suivant la même route que précédemment.

Mais cela ne dura qu’un moment. L’instant d’après le Léander arriva vent arrière. Nous pûmes voir ses bonnettes voltigeant en l’air, pendant qu’on était en train de les établir. Le brouillard se condensa encore et la frégate fut dérobée à notre vue. Que faire ? Marbre dit que, comme nous n’étions pas précisément dans notre route, nous n’avions rien de mieux à faire que de présenter au vent notre joue de tribord, de mettre toutes les bonnettes que nous pouvions porter du même côté, et de gouverner à l’est-nord-est. J’y consentis, et les changements nécessaires furent exécutés sur-le-champ. Le vent et la brume augmentèrent, et nous nous éloignâmes en suivant une ligne divergente de la route de la frégate, à raison de dix nœuds par heure. Cela dura bien quarante minutes, et nous nous croyions tous sauvés. Les plaisanteries et les quolibets recommencèrent de plus belle, quand le voile épais qui couvrait l’horizon s’entrouvrit au sud-ouest ; le soleil se fraya un passage à travers les nuages ; les vapeurs se dispersèrent, et graduellement le rideau qui avait caché l’Océan pendant toute la matinée se leva, laissant la vue planer librement dans toutes les directions.

L’anxiété avec laquelle nous assistâmes à ce grand changement de décoration sur cet immense théâtre ne saurait se décrire. Tous