Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/157

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mérité ; seulement il n’était pas à sa place dans la bouche d’un Anglais. Mais Sennit ne connaissait pas plus l’histoire de son pays que la nôtre : tout ce qu’il en savait, c’était par les journaux qu’il l’avait appris. Néanmoins je parvins à garder le silence.

— Nathan Hitchcock ! Voilà un nom yankee, s’il en fut jamais, et cela m’est suspect. Auriez-vous la bonté de me le faire voir ?

— Il est tout aussi yankee que son nom, comme vous allez en juger.

Nathan comparut, et à peine Sennit l’eut-il vu qu’il lui dit qu’il pouvait s’en aller. Il ne lui fallait qu’un coup d’œil pour distinguer si l’on était de telle ou telle nation ; et comme le Rapide avait un équipage assez complet, il était disposé à ne mettre la main que sur ses compatriotes.

— Je vous demanderai, Monsieur, de réunir tout votre monde dans le passe-avant, dit Sennit en se levant. Je ne suis qu’officier surnuméraire à bord du Rapide, et je compte que nous aurons bientôt le plaisir de voir arriver ici le premier lieutenant, l’honorable M. Powlett. On ne dira pas que notre frégate n’est pas noble, Monsieur ; car nous avons pour capitaine lord Harry Dermond, et pour aspirants tous rejetons de grandes familles.

Peu m’importait quels étaient les officiers du Rapide, mais le rouge me montait au front en songeant qu’il fallait me résigner à voir mon équipage passé en revue par un officier étranger, et cela dans l’intention formelle de me prendre tous les hommes qu’il jugerait à propos de qualifier de sujets la Grande-Bretagne. Dans mon humble jugement, la jeune et puissante république aurait beaucoup mieux fait de chercher à résister à des prétentions aussi tyranniques et aussi déraisonnables, que de vouloir contester des principes reconnus de droit public, parce que l’application pouvait entraîner quelques inconvénients. J’étais bien tenté de répondre à Sennit par un refus net ; et si je n’eusse compromis que moi, je n’aurais pas hésité ; mais sachant bien que ce seraient mes matelots qui en pâtiraient, je crus plus prudent de faire ce qui m’était demandé. Tout le monde vint donc à l’appel près du gaillard d’arrière. Tout en défendant les principes, je ne dois pas me montrer injuste à l’égard de Sennit. Il est certain qu’il découvrit les deux matelots anglais et irlandais dès la première question qu’il leur adressa. L’un et l’autre reçurent ordre de se préparer à passer à