Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/188

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si je devais obtenir quelque secours de ce lougre, tôt ou tard les faits viendraient à être connus. Je fis donc au capitaine français et à son compagnon à la mine anglaise le récit détaillé de tout ce qui s’était passé entre nous et le Rapide. Quand j’eus fini, il y eut une nouvelle conférence entre M. Gallois et son ami. Alors la yole fut de nouveau préparée, et le capitaine du lougre, accompagné de son conseiller intime, se rendit avec moi à bord de l’Aurore. À peine arrivés, il ne leur fut pas difficile de se convaincre de la vérité de mon histoire.

J’avoue que j’espérais recevoir quelques éloges de la part du capitaine, pour la manière dont j’avais su retirer mon bâtiment des mains des Philistins. Il n’en fut rien. Un bon ! expressif s’échappa, il est vrai, une ou deux fois de ses lèvres, mais il était évident qu’il cherchait bien plutôt un prétexte pour nous capturer lui-même, que des raisons pour nous féliciter de notre conduite. L’affaire fut examinée à fond sous toutes ses faces, et les deux amis tinrent à l’écart un nouveau conciliabule.

— Monsieur, me dit enfin M. Gallois, j’en éprouve un profond regret, mais votre bâtiment est de bonne prise[1]. Vous avez été prisonnier des Anglais, les ennemis de la France, et vous ne sauriez vous prendre vous-même. L’Amérique n’est pas en guerre, elle est neutre, comme vous dites très-bien, et les Américains ne peuvent point faire de prise. Je considère votre bâtiment, Monsieur, comme entre les mains des Anglais, et je m’en empare. Mes regrets sont vifs, mais que voulez-vous ? un corsaire doit faire son devoir, tout aussi bien qu’un vaisseau national. Je vous enverrai à Brest, et si vous n’y êtes pas vendu par un décret, je serai trop heureux de vous rendre votre bâtiment. — Allons !

N’était-ce pas là un dénouement de l’affaire merveilleusement trouvé ? Les Anglais m’avaient pris, donc les Français devaient me prendre ! Que répondre à un pareil raisonnement ? Ce fut le commencement de cette longue série d’iniquités dont le commerce américain eut tant à souffrir, en vertu de ce même principe, auquel on donna seulement un peu plus d’extension, et qui fut appliqué avec rigueur, iniquités qui se terminèrent enfin par le blocus de toutes les mers sur le papier.

  1. Les mots en italique sont en français dans l’auteur anglais. (Note du Traducteur.)