Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/195

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revenir la barque chargée de poissons. Ma proposition ne fut pas plus tôt faite qu’elle fut acceptée avec transport, et les corsaires se mirent à s’élancer dans le bateau, se bousculant les uns les autres sans ordre et sans direction. M. Le Gros fut entraîné par le torrent, et quand les pêcheurs firent jouer leurs avirons, il ne restait que trois Français à bord de l’Aurore. Tous les autres avaient été emportés par leur désir de se rendre utiles, et peut-être aussi un peu par la terreur que leur inspiraient les pontons anglais.

— Vous aurez la complaisance, monsieur Wallingford, cria Le Gros au moment où le bateau s’éloignait, de mettre le vent dans les huniers, et d’entrer dans la passe quand nous agiterons nos chapeaux.

— Oui, oui, répondis-je, je m’en charge, et John Bull verra à qui il a affaire.

Cela fut dit en français, et l’on répondit du bateau par des cris de : Vive la France ! Je ne sais pas ce que ces étourdis pensaient ; mais s’ils pensaient revenir jamais à bord de l’Aurore, ils ne connaissaient pas ceux qu’ils laissaient derrière eux. Quant aux Français qui restaient, Marbre et moi nous suffisions amplement pour les mettre à la raison ; et j’étais bien aise qu’ils fussent avec nous, puisqu’ils pouvaient nous être d’une grande utilité dans les manœuvres.

L’Aurore était sous ses trois huniers, son grand foc et sa brigantine, quand M. Le Gros la plaça si singulièrement sous mon commandement. La grande vergue était brassée carrée. Mon premier soin fut de décharger les huniers et de donner de l’aire au bâtiment. Ce fut bientôt fait ; et en laissant porter, je me dirigeai vers les roches, qui restèrent bientôt par notre travers du vent, bien résolu à m’en approcher le plus possible, dans l’espoir que les Anglais n’oseraient m’y suivre. Je pouvais être jeté à la côte, il est vrai ; mais tout était préférable à tomber entre les mains des Anglais, après ce qui était arrivé dernièrement. Dans un an ou deux l’affaire du Rapide pouvait être oubliée ; mais elle était encore trop récente pour que l’émotion fût calmée. Du moins ce fut ainsi que je raisonnai, et j’agis en conséquence.

L’Aurore se trouvait donc de nouveau sous mes ordres ; et si je pouvais me maintenir hors de la portée des canons de la frégate, je m’inquiétais fort peu de M. Le Gros. D’abord les corsaires supposèrent qu’en faisant servir, je n’avais d’autre intention que de se-