Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/196

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conder leurs vues ; mais quand ils s’aperçurent que l’Aurore portait sous le vent de la passe, leurs yeux commencèrent à se dessiller. Dès qu’ils avaient reconnu que l’eau était assez profonde pour l’exécution de leur projet, ils s’étaient mis à se démener et à agiter en l’air leurs chapeaux et leurs bonnets crasseux. Mais ce fut peine perdue, et l’Aurore continuait sa course, les vergues brassées en pointe, ayant le vent par le travers, et rangeant les îles d’aussi près que la prudence le permettait. Pour la frégate, elle se tenait au large, afin de gagner assez dans le vent pour ne point manquer sa proie. En ce moment les deux navires pouvaient être à une lieue de distance l’un de l’autre.

M. Le Gros ne soupçonna pas plutôt le tour que je lui jouais, qu’il sortit de la passe avec son bateau pêcheur, dont il accélérait la marche à l’aide d’une demi-douzaine d’avirons. Voyant qu’il faisait mine de nous poursuivre, je laissai tomber la voile de misaine, et je bordai le grand perroquet à toucher ; non que j’eusse la moindre crainte du bateau, mais parce que je voulais éviter, autant que possible, l’effusion du sang. Entre autres inconséquences que les Français avaient commises dans leur précipitation, ils nous avaient laissé six à huit fusils avec plusieurs boîtes de cartouches. Avec ces armes il nous aurait été facile de donner aux corsaires une leçon qui n’aurait pas manqué de les tenir en respect. Et puis j’avais toujours mes pistolets à deux coups bien chargés. Nous n’avions donc de sujet d’alarmes que de la part des Anglais.

M. Le Gros était sans doute d’un avis différent ; car la chasse qu’il nous donnait était animée, et paraissait sérieuse. Malgré tout son zèle, l’Aurore le laissait en arrière, fendant l’eau à raison de six nœuds par heure. Mais la frégate arrivait sur nous à raison de huit nœuds, et il était évident qu’avant une heure ou deux tout au plus nous serions exposés au feu de ses canons, si la difficulté d’une navigation compliquée ou les bas-fonds ne venaient à notre secours.

Étant à Bordeaux l’année précédente, j’avais acheté une carte des côtes de France, avec un livre contenant des indications semblables à celles qui se trouvent dans notre « Pilote côtier. » Naturellement je les avais avec moi, et ils me furent très-utiles. Je vis dans l’ouvrage que les îles qui étaient près de nous étaient séparées par des passes étroites où l’eau était profonde, mais que le danger venait surtout de la présence de récifs. C’étaient ces récifs qui avaient fait