Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/219

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firent peu d’attention au Rapide, qui profita de cette négligence pour passer au vent de la Désirée sans qu’on songeât à l’inquiéter. Comme les Français étaient sous le vent, le Rapide attendit, pour faire porter, qu’il fût à l’abri de leur feu. Alors il se mit à la poursuite de ses ennemis avec deux fois plus de voiles qu’ils n’en portaient eux-mêmes. En moins d’une demi-heure, il eut rejoint le Cerf, qu’il accosta par une de ses hanches, et alors il lui lâcha toute sa bordée. Pendant ce temps, le Prince-Noir, immobile à la même place, cherchait à se débarrasser de ses débris épars, pendant que le combat s’éloignait lentement sous le vent. Son équipage travaillait avec une ardeur infatigable, et nous entendîmes les acclamations qu’il poussa quand le pont fut enfin dégagé de cette forêt de mâts, de vergues et d’agrès, dont il était couvert depuis si longtemps. Alors on s’empressa de mettre une civadière qu’on avait enverguée pour la circonstance ; et une voile de perroquet fut établie sur un léger mâtereau qui avait été dressé contre le tronçon du grand mât, le plus élevé des fragments qui restaient encore.

Comme le combat passait du côté sous le vent, je me déterminai à suivre les combattants, la direction étant précisément celle que nous désirions prendre. Cependant, pour me tenir hors de la portée des boulets, j’allai en dépendant dans l’est, avec l’intention de laisser porter ensuite dans le sillage du Prince-Noir. Nous n’avions pas besoin de nous presser, puisque nous pouvions facilement alors avancer de six brasses contre lui une.

En effectuant mon projet, je passai près de l’endroit où la mer était couverte des débris de mâts de la frégate anglaise. Sur un de ces fragments ballottés à la surface, nous vîmes le corps d’un matelot embarrassé dans les agrès. Le pauvre diable était sans doute tombe avec le mât, et il s’était noyé avant qu’on eût pu venir à son secours. Les vaisseaux de guerre qui poursuivent un ennemi s’arrêtent rarement pour repêcher leurs morts.

J’eus soin de me tenir toujours à un mille de distance du Prince-Noir. Pendant ce temps, le Rapide lâchait bordée sur bordée sur la hanche du Cerf, qui était trop criblé pour lofer, tandis que M. Menneval s’éloignait sans être inquiété, et ne se souciait pas de compromettre, en venant s’exposer de nouveau au feu, davantage qu’il avait obtenu sous le rapport de la vitesse. Cet officier ne manquait pas de courage ; mais les Français étaient si accoutumés à