Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/227

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— Mettez en panne, Monsieur, ou craignez d’être traité comme pirate.

— Pas possible ! s’écria Marbre, qui ne put se contenir plus longtemps. Mais pour nous traiter en pirates, il faudrait commencer par nous attraper. Faites feu, si vous êtes las de votre métier de croiseurs. Je voudrais que ces Français infernaux vous eussent fait passer à jamais le goût du grog.

Ce langage n’était ni convenable ni politique, et je dis à Marbre de se taire. M’armant de sang-froid, je demandai tranquillement les noms des combattants, et les pertes des différents navires ; mais l’officier anglais n’était pas d’humeur à me répondre. Il n’osa pourtant pas faire feu, et voyant que nous étions armés, et que, quand même il parviendrait à nous rejoindre, il n’aurait pas bon marché de nous, il abandonna la chasse, et retourna au canot capturé. Nous fîmes aussitôt servir, et l’Aurore prit son élan à raison de sept nœuds par heure.

Les frégates ne nous envoyèrent plus de boulets. Elles avaient sans doute alors à penser à beaucoup d’autres choses ; et d’ailleurs elles avaient peu de chances de nous atteindre, quand même elles eussent réussi à endommager un mât ou deux.

Le dénouement de cette journée mémorable causa un vif désappointement à bord de l’Aurore. Marbre épuisa ses jurons les plus énergiques, et ce n’est pas peu dire ; car, malgré toutes mes remontrances, il enrichissait tous les jours son vocabulaire à cet égard, surtout lorsqu’il était excité. Diogène faisait ses plus horribles grimaces en montrant les deux poings au cutter, tandis que Neb riait et pleurait à la fois, le signe le plus certain que son agitation était portée au plus haut degré.

Mes sensations n’étaient pas moins vives ; mais je sentis le besoin de les maîtriser. Il fallait quitter au plus vite ce dangereux voisinage, et je mis le cap au nord-ouest, en ayant soin de me tenir assez éloigné des frégates pour n’être pas exposé au feu de leurs batteries. Je fis signe alors à Marbre de venir près du gouvernail ; car je faisais depuis une heure les fonctions de timonier, fonctions que, lors de mes premiers voyages sur l’Hudson, je croyais que c’était non seulement un devoir pour tout capitaine, mais même un plaisir de remplir. L’expérience devait m’apprendre que, de toutes les besognes dont le matelot peut être chargé à bord d’un bâtiment, celle dont il