Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/235

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tance que la prudence semblait conseiller. Michel, Térence et leurs compagnons, ne doutaient de rien, eux, et ils répétaient toujours : Fiez-vous, Votre Honneur, à la vieille Irlande ! Marbre et moi, nous observions du gaillard d’avant les contours de la côte, pendant que l’Aurore s’avançait à travers les lames courtes, en s’enfonçant jusqu’à l’étrave. Enfin nous eûmes assez bonne idée d’une pointe de terre qui se montrait un peu sous le vent, et nous en parlâmes à Michel. Michel nous affirma qu’il connaissait parfaitement l’endroit et que le fond était excellent des deux côtés. Nous nous y dirigeâmes donc en faisant les préparatifs nécessaires pour jeter l’ancre.

Je fus trop occupé à serrer la toile, pour faire attention à la marche du bâtiment pendant vingt minutes. Pour serrer le foc, il fallut nous y mettre tous les quatre, et abandonner le gouvernail à Michel. C’était une besogne diabolique, et Marbre se mit à notre tête. Jamais je ne l’avais vu déployer une énergie et une activité si prodigieuses. On eût dit qu’il s’incorporait aux vergues et aux cordages ; suspendu en l’air, pour ainsi dire, il s’escrimait des bras, des jambes, et de ses larges épaules, avec autant de force et en même temps autant d’aisance que s’il eût été sur un plancher solide.

À la fin la voilure se trouva réduite au petit foc et au grand hunier avec deux ris pris. Il était bientôt temps que tous les ris fussent pris — et l’Aurore en portait quatre ; mais j’espérais que la toile résisterait jusqu’au moment ou nous la serrerions tout entière. Cependant les bouffées de vent commençaient à se changer en bourrasques, et je vis qu’il ne fallait pas s’endormir.

Nous étions alors à l’extrémité de la pointe de terre. J’avais demandé à Michel quelle profondeur nous devions nous attendre à y trouver. Il avoua ingénument qu’il n’en savait rien. Ce dont il était certain, c’est que des navires y mouillaient quelquefois. Il n’était pas sorcier, il ne voulait pas hasarder des conjectures, il préférait donc se taire. Quelle perspective pour un armateur de conduire son bâtiment le long d’une côte dangereuse avec un pareil pilote ! À coup sûr j’aurais viré vivement vent arrière, sans plus tarder, si je n’avais pas eu sous le vent une mer ouverte, que je pouvais toujours gagner avec le vent qu’il faisait. La sonde nous indiquait quarante brasses.

Je commençai à questionner le pêcheur sur le point précis ou il comptait nous conduire. Michel balbutia, et je pus me convaincre que ses connaissances étaient de la nature la plus générale, c’est-à--