Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/247

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d’espoir, tant que je conserverai un souffle de vie ! — Et cette pensée me soulagea dans ce cruel moment.

Cruel moment en effet ! C’est à peine si le temps a affaibli la vivacité des sensations que j’éprouvai alors, à mesure que ma mémoire me retrace les incidents terribles de cette journée. Depuis mon départ de Clawbonny, l’image de Lucie avait été sans cesse présente à mon esprit. Le jour et la nuit, dans mes travaux comme dans mes rêves, je la voyais toujours ; et même l’intérêt du combat naval auquel j’avais assisté n’avait pu empêcher mes pensées de se tourner vers leur étoile polaire, vers leur aimant irrésistible. Mais dans ce moment Lucie fut complètement oubliée ; Marbre absorbait toutes mes idées. Neb aussi, ce serviteur si dévoué, d’un courage si intrépide, d’un attachement si éprouvé, avait pris fortement possession de mon cœur ; et sa perte m’avait causé une peine sensible. Cependant le souvenir de Lucie n’avait pas été effacé, même par la catastrophe de mon pauvre nègre ; mais son image disparut de mes yeux, pendant les premières heures où je fus ainsi séparé de mon vieil ami.

Au moment du coucher du soleil, le vent et la mer s’étaient assez calmés pour qu’il n’y eût plus de danger pour le moment. L’Aurore se maintint facilement à la cape, et je n’eus pas de grands efforts à faire. S’il avait fait clair, j’aurais mis alors la barre au vent, et je me serais dirigé du côté sous le vent, dans l’espoir de rejoindre Marbre ; mais craignant, dans l’obscurité, de passer auprès de lui sans l’apercevoir, je différai jusqu’au lendemain matin. Tout ce que je pouvais faire, c’était de bien observer le vent, afin de tenter ce moyen avant qu’il changeât.

Quelle nuit je passait ! Je sondai les pompes, et je trouvai six pieds d’eau dans la cale. C’eût été une folie à un seul homme de vouloir entreprendre de vider un bâtiment comme l’Aurore, et je n’y pensai même pas. Les hauts du navire avaient tellement souffert, que j’avais la conviction qu’il coulerait bas si je ne rencontrais pas quelque autre bâtiment. Je ne puis dire que je fusse inquiet de mon sort, ni que je pensasse que la perte de l’Aurore entraînait celle de ma fortune. Je ne songeais uniquement qu’à mes compagnons ; si j’avais pu les retrouver, j’aurais été heureux, du moins pour le moment.

Vaincu par la fatigue, je dormis deux ou trois heures. Quand je