Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/250

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la cale, quoique alors les hauts du bâtiment ne fussent nullement submergés, et que ses mouvements fussent faciles. Je ne pouvais me le dissimuler, l’Aurore s’enfonçait graduellement sous mes pieds, et tous les intérêts de cette vie commençaient à se concentrer pour moi dans un espace de vingt-quatre heures. C’était le temps pendant lequel le bâtiment resterait probablement à flot, — peut-être quelques heures de plus, si le temps continuait à être favorable. Pensant que j’aurais une nuit tranquille, je résolus de l’employer à me préparer au grand voyage. Je n’avais pas de testament à faire. Que me resterait-il, quand mon bâtiment serait perdu ? La dette que j’avais contractée envers Jacques Wallingford absorberait sans doute tous mes biens. Qu’importait après tout, puisque mon créancier était en même temps mon héritier ? À l’exception d’un legs à Lucie, et de quelques présents à mes esclaves, j’avais laissé à mon cousin tout ce que je possédais. Quant aux nègres eux-mêmes, d’après la nouvelle législation de New-York, ils seraient bientôt libres, et je n’avais d’autre intérêt à prendre à leur sort que celui de l’habitude et de l’affection.

Mais que parlais-je de biens et de fortune, dans la situation où j’étais placé ? J’aurais eu à disposer de tout le comté de l’Ulster, que personne n’aurait connu mes dernières volontés. L’Océan allait tout engloutir. Ne devais-je pas faire un effort pour me sauver, ou au moins pour prolonger mon existence en construisant un radeau ? — car il n’y avait aucune embarcation à bord. Les Anglais avaient pris la yole, et la chaloupe avait été entraînée par la tempête. — Quand j’en aurais eu le désir, les matériaux manquaient. Peut-être aurais-je pu tirer quelque parti des panneaux d’écoutille et du mât de perroquet de fougue ; mais comment mettre le mât à la mer ? Les anspects mêmes avaient été emportés avec la chaloupe, et deux des bouées avaient été laissées avec les ancres sur la côte d’Irlande. Dans une position pareille, il me sembla qu’il y aurait plus de courage et de résignation à attendre mon sort qu’à me consumer en efforts stériles pour prolonger ma vie de quelques heures.

Et pourquoi, après tout, la vie m’est-elle si chère ? De toute manière Clawbonny, mon cher Clawbonny était perdu pour moi, et j’avouerai qu’un sentiment d’amertume traversa mon âme à l’idée que Jacques Wallingford avait fort bien pu ne m’engager à emporter son argent que pour s’assurer la possession de mon bien. Cependant