Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/252

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faible et la coque était tellement enfoncée dans l’eau que les mouvements étaient d’une lenteur extrême. C’était à peine si j’avançais d’un demi-nœud par heure.

Il y avait des intervalles de calme plat ; puis de petites bouffées de vent se faisaient sentir de nouveau pour donner une faible impulsion à la masse pesante. Mon impatience ne pouvait se contenir ; je sifflais, je priais, j’appelais le vent à haute voix. Tout ce que la superstition la plus vulgaire des matelots, tout ce que la piété la plus fervente pouvait me suggérer, je l’employais tour à tour ; à défaut d’autre résultat, le temps se passait ainsi.

Une demi-heure environ avant le coucher du soleil, l’Aurore pouvait être à cent brasses des débris. Je m’en assurai par quelques regards jetés à la dérobée, car la direction que j’étais obligé de suivre plaçait la partie antérieure du navire entre moi et l’objet de mes recherches, et je n’osais pas quitter la barre un seul instant pour aller à l’avant. J’avais préparé un grappin en plaçant, dans le passavant sous le vent, une petite ancre à jet sur laquelle j’avais entalingué une aussière, et si je pouvais parvenir à quelques pieds des agrès flottants, j’avais l’espoir qu’il pourrait toujours s’accrocher à quelque chose. Dans mon impatience, il me semblait alors que l’Aurore refusait d’avancer ; cependant elle marchait toujours, mais c’est à peine si elle faisait sa longueur en cinq ou six minutes. Un coup d’œil précipité m’apprit que deux de ces longueurs me séparaient seules des débris. Je respirais à peine, tant je craignais de ne point diriger le bâtiment avec assez de soin.

Il me paraissait étrange que Marbre n’appelât point ; et, le croyant endormi, je poussai un cri de toute la force de mes poumons. Comme ma voix va résonner délicieusement à ses oreilles ! pensai-je en moi-même ; quoique pour moi, elle me parut avoir quelque chose de surnaturel et d’alarmant ; aucune réponse ne se fit entendre. Alors je sentis une légère secousse, comme si le taille-mer avait rencontré quelque obstacle. Quittant la barre, je m’élançai sur le passavant, soulevant le grappin dans mes bras ; je ne voyais, je ne distinguais que cette masse confuse d’agrès et d’apparaux ; je tremblais qu’elle ne vînt à s’éloigner avant que j’eusse pu agir ; il me semblait que déjà je la voyais dériver. J’entendis en ce moment un bruit sourd, exactement sous moi, et avançant vivement la tête, je vis la vergue de misaine, dont une extrémité battait la carène du