Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/256

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décidai donc à prendre congé de l’Aurore, et à passer sur le radeau ; il pouvait même être dangereux d’en rester trop près, dans le cas où le navire viendrait à couler bas ; je coupai donc les cordages qui retenaient le radeau, et je commençai à pousser au large au moment où le soleil se plongeait dans l’Océan. J’avais heureusement, en cherchant dans l’entrepont, trouvé les avirons de la chaloupe, et je les avais portés au radeau, pour fortifier ma plate-forme, en réservant deux pour l’objet auquel je les employai alors. Au bout d’une heure d’efforts énergiques, j’étais à soixante brasses de la poupe de l’Aurore, c’était avancer avec une lenteur désespérante, et cet essai suffit pour me convaincre que, si je devais être sauvé, ce serait grâce à quelque bâtiment qui passerait, mais non par la célérité de ma marche.

Harassé de fatigue, je m’étendis sur le matelas, et je dormis. Je ne pris aucune précaution contre le vent, dans le cas où il viendrait à s’élever pendant la nuit ; d’abord ce danger était peu à craindre, d’après l’aspect tranquille du ciel et de l’Océan ; ensuite j’étais certain que le clapotement de l’eau et le sifflement du vent me réveilleraient, s’il en était autrement. Comme la nuit précédente, j’eus un sommeil paisible, et je repris des forces pour les nouvelles épreuves qui pouvaient m’attendre. Comme la veille aussi, je fus réveillé par les rayons du soleil, qui sarclaient en plein sur ma figure. Dans le premier moment, je ne savais pas exactement où j’étais. Une minute de réflexion ne me rappela que trop bien le passé, et je me mis à examiner ma situation actuelle.

Je cherchai l’Aurore dans la direction où je l’avais vue pour la dernière fois ; elle n’y était pas. Sans doute le radeau avait dérivé pendant la nuit. Je tournai lentement les yeux sur tous les points de l’horizon : aucun navire n’apparaissait. Plus de doute, l’Aurore s’était abîmée pendant la nuit, et avec si peu de bruit que je ne m’en étais pas aperçu. Je frissonnai, car je ne pus m’empêcher de penser quel eût été mon destin, si j’avais été tiré du sommeil des vivants, uniquement pour éprouver la dernière agonie, en passant à celui des morts. Je ne saurais décrire la sensation qui s’empara de moi, quand, regardant à l’entour, je me trouvai voguant sur l’immensité des mers, debout sur une petite plate-forme de dix pieds carrés, qui ne s’élevait que de deux pieds au-dessus de l’eau. Ce fut alors que je compris tout ce que ma position avait de précaire et d’horrible.