Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/262

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il est vrai que je ne l’avais plus aperçue après qu’elle s’était enfoncée derrière la première montagne d’eau sous le vent, car nous avions trop à faire, à bord du bâtiment, pour regarder autour de nous. Le nègre était parvenu à empêcher le canot de chavirer, en vidant l’eau qui le remplissait ; il dériva sous le vent, et le pauvre diable nous décrivit de la manière la plus énergique ses sensations, en voyant avec quelle rapidité il s’éloignait de l’Aurore. Toutefois, dès que le vent le permit, il établit les mâts, et mit deux voiles de lougre, avec tous les ris pris, faisant des bordées de trois ou quatre milles de longueur dans la direction du vent. Ce parti, pris à propos, fut sûrement la cause de notre salut à tous. Au bout de quelques heures, il aperçut la forêt mobile de mâts et d’agrès sur le sommet d’une vague, et bientôt après, Marbre lui-même, à demi noyé, qui s’était cramponné à la hune. Il fallut bien encore une heure avant que Neb pût approcher assez pour se faire entendre de Marbre, et encore plus longtemps pour qu’il pût le recueillir dans le canot. Les forces de mon pauvre lieutenant étaient épuisées, et une minute de plus, il était perdu.

L’eau les vivres ne leur manquaient pas ; par mon ordre, il y avait toujours dans chaque canot un baril d’eau fraîche ; et il paraît que le cuisinier, qui était un épicurien à sa manière, était dans l’habitude de cacher dans le fond de la chaloupe un sac de biscuits et quelques morceaux de choix de bœuf et de porc, pour son usage particulier. Toutes ces provisions avaient un peu souffert par le contact de l’eau salée, mais elles étaient encore mangeables, et ni Marbre ni Neb n’étaient en position de se montrer bien difficiles.

Marbre avait repris naturellement la direction de la chaloupe ; par malheur, il courut un long bord dans le nord, dans l’intention de virer, afin de se rapprocher de l’endroit où il pensait que je pouvais être pour venir à mon secours. Ce fut pendant ce temps que je rencontrai le radeau et que j’en pris possession. Le calcul de Marbre était excellent au fond ; mais, sans doute, il n’arriva au point qu’il avait en vue qu’après que l’Aurore avait coulé bas. Le radeau et la chaloupe étaient trop bas pour être vus à quelque distance ; il est probable que nous n’étions pas à plus de dix à douze milles l’un de l’autre pendant la plus grande partie de la journée où j’avais été sur le radeau ; car c’était vers trois heures après-midi que Marbre avait mis la barre au vent pour me rejoindre. Cette direction l’amena près