Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/288

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à nous, et nous pensons qu’ils finiront par là plutôt que de perdre la part de prise qu’ils peuvent obtenir pour leurs services à bord du Breton. Il paraît que votre ancien lieutenant est un maître homme ; Milord, pensant que nous pourrions rencontrer quelques croiseurs français auprès de la Manche, a cru devoir faire passer vos deux compagnons sur la prise, de peur qu’ils ne prissent la mouche et ne refusassent de combattre. Ils font leur service, disent-ils, pour se maintenir en bonne santé ; et, à vous parler franchement, nous faisons ce qu’ils veulent, dans l’espoir que bientôt ils nous aimeront tant qu’ils ne voudront plus nous quitter.

J’eus alors l’explication de leur conduite, et je me sentis plus tranquille. Jamais je n’avais supposé un instant que Marbre eût conçu l’idée de servir sous le pavillon anglais ; mais il était capable de faire quelque nouvelle bévue pour réparer celle qui avait eu de si fatales conséquences, et d’empirer le mal en voulant y remédier. Quant à Neb, je savais qu’il ne m abandonnerait jamais, et si j’avais quelque inquiétude à son égard, c’était qu’on n’abusât de sa simplicité.

Le jour où nous jetâmes l’ancre dans la baie de Plymouth, le temps était brumeux, et il fraîchissait du sud-ouest ; le bâtiment vint mouiller au coucher du soleil ; sa prise était à peu de distance en terre de lui, comme je le vis par le sabord, qui formait une sorte de fenêtre pour ma petite chambre en toile. Pendant qu’on amarrait le navire, lord Harry Dermond passa dans la chambre, accompagné de son premier lieutenant, et j’entendis qu’il lui disait :

— À propos, monsieur Powlet, il faudra songer à mettre ailleurs ce prisonnier ; maintenant que nous sommes si près de la terre, il ne serait pas prudent de le laisser à portée d’un sabord.

Je méditais ces paroles quand j’entendis le bruit d’une embarcation qui venait le long du bord ; en regardant par le sabord, je vis que c’était le maître de prise du bâtiment français qui venait nous rendre visite, et que Marbre et Neb étaient au nombre des rameurs. Marbre me vit, et me fit un signe d’intelligence, quoiqu’il fît assez obscur pour qu’on distinguât à peine les objets. Je répondis à ce signe par un geste expressif, et c’en fut assez pour décider Marbre à ne point quitter le canot et à garder Neb avec lui ; leurs deux compagnons étaient si accoutumés depuis quelque temps à partager le service avec les Américains, qu’ils ne se firent aucun scrupule de monter à