Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/296

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avait péri s’était accréditée de plus en plus ; enfin un navire de la Jamaïque apporta une version plus ou moins brodée de la manière dont j’avais repris à Sennit mon bâtiment ; et quand on sut que nous n’étions restés que quatre à bord, on en vint, de conjectures en conjectures, à regarder comme un fait parfaitement établi que nous avions fait naufrage, et je ne fus plus compté au nombre des vivants.

Peu de temps après que cette opinion avait pris quelque consistance, Jacques Wallingford se montra à Clawbonny ; il ne fit aucun changement, parla avec bonté à tout le monde, et l’on resta convaincu que les choses allaient rester sur l’ancien pied ; il était mon héritier, et il ne semblait y avoir aucune raison de supposer qu’il en dût être autrement.

Mais deux mois après la visite de Jacques Wallingford, la nouvelle que Clawbonny avait été hypothéquée vint fondre comme un coup de foudre sur tous ceux qui l’habitaient. Les formalités prescrites furent remplies, et la vente eut lieu, par autorité de justice, pour cinq mille dollars, c’est-à-dire moins du sixième de sa valeur. M. Hardinge était venu à la vente pour faire des représentations à mon cousin, plutôt que pour se porter adjudicataire ; il risqua une enchère, mais n’osa pas aller plus loin. De son côté, Jacques Wallingford ne parut pas, et le bien fut adjugé à un de ses parents du côté de sa femme, à un nommé M. Daggett. Celui-ci prit immédiatement possession du bien, renvoya les nègres, et mit de nouveaux serviteurs dans la ferme et au moulin. À la surprise générale, aucun testament ne fut produit, et l’on n’entendit point parler de mon cousin. M. Daggett était un homme froid et réservé, de qui il n’était point facile de tirer des explications ; son droit à la propriété était incontestable. M. Hardinge, après avoir consulté des hommes de loi habiles, avait été obligé de le reconnaître. Tels furent en substance les renseignements que je recueillis de la bouche du meunier dans une conversation à bâtons rompus qui dura plus d’une heure ; sans doute il me restait beaucoup d’éclaircissements à obtenir, mais j’en avais appris assez pour savoir que j’étais complètement ruiné.

En quittant Jared, je lui donnai mon adresse, et je l’engageai à venir me voir le lendemain ; le vieillard me témoignait un intérêt qui me faisait du bien, et j’étais bien aise de l’interroger plus longuement, surtout sur ce qui concernait Lucie et M. Hardinge. Je