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amour, puis les mains qui me l’avaient rendu, puis la figure qui me souriait si tendrement. Dans ce moment un léger coup se fit entendre à la porte, et Chloé passa la tête, pour demander s’il fallait servir. Lucie dînait ordinairement à quatre heures, et il en était près de cinq.

— Est-ce que mon père est rentré ? demanda Lucie.

— Pas encore, maîtresse ; mais Monsieur pas beaucoup songer à dîner ; et maître Miles devoir être pressé — marin, toujours bon appétit. Et lui avoir tant souffert, si vous saviez, maîtresse !

— Ah ! ah ! je vois qu’on a causé avec Neb, miss Chloé, m’écriai-je ; et il vous a régalée du récit de ses aventures, qu’il a fait bien noir, bien lugubre, n’est-ce pas, pour vous attendrir ?

— Le gars ! s’écria Chloé, qui rougit sans doute sans qu’on pût s’en apercevoir ; mais toute noire qu’était la peau de cette honnête créature, elle avait un cœur aimant, et ses traits mêmes exprimaient l’émotion qu’elle éprouvait.

— Eh bien ! soit ; qu’on nous serve, dit Lucie en souriant. M. Hardinge ne tardera sans doute pas à rentrer. Nous ne serons que trois à table.

L’annonce du dîner me fit jeter un regard sur ma toilette ; et mon costume de marin, quoiqu’il allât assez bien à ma figure, me rappela ma pauvreté, et me fit comprendre la distance énorme qui, aux yeux du monde, séparait l’héritière de mistress Bradfort, d’un pauvre capitaine de bâtiment marchand qui ne possédait pas un dollar au monde. Lucie devina le motif de l’altération de mes traits ; et passant son bras dans le mien elle me dit d’un petit air malin, en me conduisant à la bibliothèque :

— Si cette veste vous déplaît, Miles, rien de plus simple que de la faire allonger.

— Sans doute, Lucie, avec de l’argent. Mais j’ai été tellement étourdi de mon bonheur que j’avais oublié que je ne possède plus rien ; que je ne suis pas un parti convenable pour vous ! Si du moins Clawbonny m’appartenait encore, je serais moins humilié… Clawbonny me relèverait à mes propres yeux !

Nous étions arrivés dans la bibliothèque. Lucie me regarda un moment fixement, et je pus voir que ma réflexion lui avait fait de la peine. Elle prit dans un coffre une petite clef, ouvrit un tiroir, et me montra les mêmes pièces d’or qui avaient été autrefois en ma