Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/333

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plus doux épanchements, nous nous mîmes à parler de Clawbonny et des moments délicieux que nous allions y passer. Lucie me raconta avec quelle impatience tout le monde m’attendait. Je n’avais point, il est vrai, de fermiers pour venir à ma rencontre, et je ne sais si, même à cette époque, dans le cas où j’en aurais eu, ils se seraient dérangés à cette occasion ; non pas que ces misérables sophismes sur les relations entre les propriétaires et les fermiers, relations dont l’utilité et l’influence sous le rapport de la civilisation ne sauraient être contestées, eussent commencé à être en vogue ; alors, violer les clauses d’un bail, ce n’était pas faire acte de liberté, et un bail à perpétuité était regardé comme plus avantageux pour le fermier qu’un bail restreint à un certain nombre d’années. Alors, on ne regardait pas comme un reste de féodalité de payer ses redevances en poulets, en bois, en corvées ; c’était plutôt une faveur, et, encore aujourd’hui, neuf fermiers sur dix s’efforcent de payer leurs dettes de toutes les manières imaginables, avant d’en venir à délier les cordons de leur bourse. Alors, on ne s’était pas encore imaginé d’appeler la terre un monopole dans un pays qui renferme dans son enceinte plus de cent acres par habitant. Mais ma plume s’égare malgré moi à la vue des dangers qui menacent la véritable liberté. Je disais donc que je n’avais point de fermiers qui attendissent mon arrivée ; mais les bons nègres étaient là, et Lucie me raconta la réception qu’ils me préparaient.

Cependant Marbre m’attendait ; et, sans vouloir permettre que je l’accompagnasse, Lucie s’échappa de son côté pendant que je descendais en toute hâte le sentier qui conduisait au bas de la route.

— Miles, mon garçon, me dit Moïse, qui semblait plongé dans ses réflexions, vous avez pour cette terre l’affection qu’un marin a pour son bâtiment. Eh ! bien, je le conçois ; c’est quelque chose de posséder un bien qui a appartenu à un grand-père ; ce qu’il y a de pire, après le métier infernal d’ermite, bien entendu, — c’est de ne tenir à personne dans cet univers si rempli. Voyez-vous bien, un baiser de ma petite Kitty, une ride de ma pauvre vieille mère, ont plus de prix pour moi que toutes les îles désertes de l’Océan. Allons, remontez dans la voiture, mon garçon ; que diable avez-vous fait ? Vous voilà rouge comme une écrevisse ; on dirait que vous n’avez fait que monter et descendre la colline en courant depuis que vous m’avez quitté ?