Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/52

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dement vos intérêts. Est-ce que vous avez craint d’être obligée de quitter la ferme ?

— Les filles de l’écuyer Van Tassel s’en sont vantées hautement, dit Kitty de sa petite voix douce et tremblotante ; mais je n’y fais pas grande attention, car, à les entendre, leur père posséderait bientôt tout le pays à lui tout seul. La maison a été bâtie, dit-on, par le grand-père de grand-mère ; grand-mère y est née, ainsi que moi. Il serait dur de la quitter, et cela pour une dette que grand-mère assure avoir été payée.

— Oui, diablement dur ! murmura Marbre entre ses dents.

Kitty se rapprocha de nouveau de moi, ou, pour mieux dire, s’éloigna du lieutenant, qui dans ce moment faisait une horrible grimace.

— Ce que vous dites est très-vrai, Kitty ; mais je vous répète que la Providence vous a envoyé des amis qui veilleront sur vous et sur votre grand-mère.

— Oui, oui, s’écria Marbre, la bonne vieille peut dormir tranquille ; elle ne quittera pas la maison tant que je vivrai, à moins que ce ne soit pour aller à la ville visiter le spectacle, les museum, les dix ou quinze églises hollandaises qui s’y trouvent, et tout le bataclan.

Kitty regarda son voisin de gauche avec surprise, mais il me sembla qu’elle n’avait plus tout à fait aussi peur.

— Je ne vous comprends pas, Monsieur, répondit-elle après avoir paru réfléchir un moment ; grand-mère n’a aucun désir d’aller à la ville ; elle ne demande qu’à passer tranquillement le reste de ses jours dans notre vieille maison, et personne n’a besoin de plus d’une église.

Si la chère enfant fût venue au monde quelques années plus tard, elle aurait vu qu’il y a des personnes à qui il en faut une demi-douzaine.

— Et croyez-vous, Kitty, que votre grand-mère ne songe pas à ce que vous deviendriez, si vous veniez à la perdre ?

— Oh ! Monsieur, elle n’y pense que trop, grand-mère, et je fais tous mes efforts pour la tranquilliser. Pourquoi prévoir un si affreux malheur ? Et puis, d’ailleurs, je saurais bien me suffire, et j’ai des amis qui ne me laisseront jamais dans l’embarras.

— Vous en avez un, Kitty, à qui vous ne pensez pas, et qui sera toujours là pour vous protéger.