Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/59

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— Grace heureuse ! C’est ce que nous ne verrons jamais, du moins dans ce monde pervers.

— Je n’ai plus eu le courage de désirer cette alliance, Miles, depuis le moment où j’ai pu juger du véritable caractère de Rupert. Il a des goûts trop futiles, des principes trop superficiels pour une personne d’un cœur aussi tendre et d’un jugement aussi solide. Il y avait quelque chose de fondé dans ce prétexte qu’il donnait que l’engagement avait été contracté inconsidérément. Dans un âge aussi tendre, on sait à peine ce qu’on veut ; on sait encore moins quelles modifications le temps peut apporter dans nos sentiments. Quoi qu’il en soit, Grace elle-même ne consentirait pas aujourd’hui à épouser Rupert. Elle m’a avoué que le coup le plus sensible pour elle avait été de reconnaître qu’elle s’était trompée sur son caractère. Je lui ai parlé avec plus de franchise qu’une sœur n’aurait peut-être dû le faire, mais je voulais éveiller sa susceptibilité, comme moyen de la sauver. Hélas ! Grace est toute tendresse ; sa vie pour elle était dans son cœur ; et, ses affections une fois flétries, le reste de son être se flétrira bientôt comme elles.

Je ne répondis rien : l’arrivée de Lucie à la ferme, ses manières, ses discours, tout me convainquait qu’elle avait presque entièrement renoncé à l’espérance. Nous retournâmes à la maison, absorbés l’un et l’autre par de tristes pensées. Jamais je n’aurais songé à essayer d’exercer quelque influence sur Lucie en ma faveur, dans un pareil moment. Ma pauvre sœur m’occupait seule, et je brûlais d’impatience de retourner à bord du sloop où, au surplus, il était temps de nous rendre, le soleil ayant déjà depuis quelque temps disparu de l’horizon.