Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 24, 1846.djvu/188

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

action fut si soudaine et si inattendue qu’il fallut au major tout son sang-froid pour ne pas se laisser découvrir.

— Est-ce vous, Daniel ? c’est ainsi que s’appelait le meunier. Qu’est-ce qui a donc pu porter le capitaine à faire cette sortie, quand la vallée est pleine d’Indiens ? dit tout bas Joël en prolongeant ses paroles, afin d’avoir le temps de se convaincre de la justesse de ses conjectures. Racontez-moi donc cela.

— Vous allez me mettre dans l’embarras vis-à-vis du capitaine, répondit le major en s’écartant un peu de son déplaisant voisin, et parlant aussi à voix basse. Le capitaine aime aller à la découverte, et vous savez qu’on ne peut pas le contredire. Laissez-nous donc, et n’oubliez pas le lait.

Comme le major s’éloignait et semblait déterminé à ne pas se faire connaître de l’inspecteur, il fallut que ce dernier en demeurât là ; tenant à paraître respectueux et soumis, il ne voulait pas enfreindre les ordres du capitaine. Jamais cependant Joël Strides n’avait laissé un homme glisser de ses doigts avec autant de répugnance. Il avait bien vu que le compagnon du capitaine n’était pas le meunier, mais le déguisement était trop complet pour qu’il eût pu se guider sur la taille de l’inconnu. À cette époque on distinguait les différentes classes de la société par le costume que chacune portait habituellement, et, accoutumé à voir le major Willoughby dans l’uniforme qui appartenait à sa profession, il ne l’aurait jamais découvert ainsi déguisé, surtout ne connaissant ni ne soupçonnant sa visite. Cette fois, son habileté se trouvait complétement en défaut ; certain que ce n’était pas son ami Daniel, il était incapable de dire qui c’était.

Dans cette incertitude, Joël, pour le moment, oublia les sauvages et les dangers qu’il courait dans leur voisinage. Il se rendit, comme poussé par une mécanique, à l’endroit où il avait laissé le seau, et se dirigea ensuite lentement vers la Hutte réfléchissant à chaque pas sur ce qu’il venait de voir. Lui et le meunier avaient des communications secrètes avec certains agents des révolutionnaires, en sorte que malgré leur position isolée, ils connaissaient des faits que leur maître ignorait complètement. Il est vrai que c’étaient des agents d’une classe inférieure qui s’attachent à toutes les grandes entreprises politiques dans le but unique d’y trouver leur propre bénéfice ; cependant, comme ils étaient actifs, adroits et hardis, et qu’ils avaient l’adresse de se rendre utiles, ils pas-