Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 24, 1846.djvu/229

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peuple qui sût lire, il n’a pas un papier sur lui à montrer pour appuyer ses assertions.

— Mais il m’a bien promis de se servir du nom d’Evert s’il venait à tomber dans les mains des Américains, répondit Beulah avec vivacité, et Evert m’a dit plusieurs fois que mon frère ne pourrait jamais être son ennemi.

— Que le ciel daigne nous secourir, chère enfant ! répondit le capitaine en embrassant sa fille. Nous tâcherons d’avoir du courage, car nous ne savons rien encore qui puisse nous alarmer avec raison ; tout ira bien peut-être avant le coucher du soleil.

Le capitaine essaya de prononcer ces paroles d’un air gai, mais aucun sourire ne lui répondit, car sa femme ne pouvait être que malheureuse quand le salut de ceux qu’elle aimait était incertain ; elle vivait entièrement hors d’elle-même, et tout à fait pour son mari, ses enfants et ses amis, il n’y avait pas de femme moins intéressée ou plus dévouée a ses affections. Beulah, avec toute sa confiance dans le nom magique d’Evert, et ses profonds sentiments d’épouse et de mère, aimait encore son frère aussi tendrement qu’autrefois. Quant à Maud, le tourment affreux qu’elle souffrait s’augmentait encore des efforts qu’elle faisait pour le cacher, dans la crainte de trahir son secret, et il y avait sur ses traits une expression de résolution énergique qui donnait à sa beauté un air de grandeur que son père n’avait jamais vu sur sa ravissante physionomie.

— Cet enfant souffre plus que nous tous, dit le capitaine en attirant sa favorite vers lui, l’asseyant sur ses genoux et la pressant contre son sein ; elle n’a pas de mari encore pour partager son cœur, et tout son amour se concentre sur son frère.

Le regard que Beulah jeta sur son père n’avait pas une expression de reproche, elle ne se le serait pas permis ; mais il disait si bien combien elle était affligée et mortifiée de ces paroles, que la mère lui tendit les bras.

— Hugh, vous êtes injuste envers Beulah, dit mistress Willoughby ; rien ne peut lui faire oublier les tendres sentiments qu’elle a toujours eus pour nous tous.

Le capitaine, empressé de réparer sa faute, embrassa affectueusement Beulah, ce qui la fit sourire à travers ses larmes. Tout fut aussitôt oublié, et Maud profita de cette courte scène pour s’échapper de la chambre.