Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 25, 1846.djvu/137

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Je racontai alors l’affaire du traîneau à M. Worden, qui me donna ce genre de consolation qu’on reçoit le plus souvent dans ce monde égoïste :

— En vérité, Corny, me dit mon ancien maître, je ne sais trop si vous ne deviez pas avoir l’air encore plus sot en roulant à bas de votre traîneau, que moi en fuyant à toutes jambes sur la rivière.

Nous nous mîmes à rire tous les deux, moi pour cacher la vexation que j’éprouvais, et M. Worden sans doute parce qu’il était flatté de penser que j’avais dû paraître au moins aussi ridicule que lui.

Le lendemain matin, je me rendis chez Herman Mordaunt d’aussi bonne heure que les bienséances le permettaient. Il habitait un de ces vieux bâtiments hollandais dont Albany se composait en grande partie, et qui étaient séparés de la rue par une petite cour vers laquelle le pignon était tourné. Les murs de cette maison allaient en diminuant de degrés en degrés de manière à former une sorte d’escalier jusqu’au point culminant d’un toit presque droit, et le tout était surmonté d’une girouette, placée sur une barre de fer de quelque élévation. Les Hollandais avaient toujours mis une grande importance à savoir de quel côté soufflait le vent. Il n’entrait pas dans leurs habitudes d’exactitude minutieuse de s’en rapporter aux indications ordinaires de la direction des nuages et de la fumée ; ils voulaient avoir une machine construite tout exprès. La fumée pouvait se tromper, mais une girouette, jamais !

Je fus introduit dans un petit parloir où il n’y avait encore personne. Avec quelle rapidité s’écoulèrent pour moi les quelques minutes que j’y passai seul ! Sur une chaise était étendu le schall qu’Anneke portait le jour même où je l’avais rencontrée à la fête de Pinkster ; sur le schall était posée négligemment une paire de gants si petite qu’évidemment ses mains seules pouvaient y entrer. De jolies boîtes de travail, de charmants ouvrages commencés, indiquaient la présence de jeunes dames du monde. Mais les gants attirèrent surtout mon attention. Je les pris dans mes mains, je les tournai et retournai en tous sens ; enfin je les portai à mes lèvres, et je les baisais avec une ardeur toute roma-