Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 25, 1846.djvu/153

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premier moment, je ne vis qu’elle. Elle était d’un embonpoint qui lui permettait à peine de se lever, mais elle avait les yeux les plus spirituels du monde, et en même temps une expression de douceur et de bonté répandue sur toute sa figure. Au nom de Littlepage, elle jeta aussitôt un regard d’intelligence sur ses jeunes amies, mes yeux suivirent machinalement la même direction, et j’aperçus Anneke, qui rougissait et qui semblait un peu confuse. Quant à Mary Wallace, elle me parut éprouver, ce qu’elle ressentait chaque fois que Guert Ten Eyck s’approchait d’elle, une sorte de plaisir mélancolique.

— Je ne vous demanderai pas le nom de madame votre mère, monsieur Littlepage, dit madame Schuyler en me tendant la main ; nous nous sommes connues dans notre jeune temps. En son nom, vous êtes le bienvenu, comme vous ne pouvez manquer de l’être aussi pour vous-même, après le service signalé que j’apprends que vous avez rendu à ma jeune et belle amie que voici.

Je ne saurais dire à quel point ce petit compliment que je devais avant tout à Anneke me chatouilla délicieusement l’oreille. Guert, au contraire, haussait les épaules, et me jetait des œillades langoureuses comme pour me faire entendre qu’il déplorait toujours de ne pas voir son amante dans la gueule d’un lion. Il était impossible de ne pas rire des mines lamentables du pauvre garçon.

Je fus assez surpris de m’apercevoir que Guert semblait en assez grande faveur auprès d’une femme du caractère de madame Schuyler. Mais quelle est celle, même parmi les plus délicates et les plus sensées, qui ne se sent pas un faible pour ces demi-mauvais sujets qui rachètent leurs défauts par tant de charmantes qualités ? Le courage d’un lion brillait dans le regard de Guert, et il avait cet air, cette tournure, qui plaisent particulièrement aux femmes. Puis, ce qui lui donnait un charme infini, c’était de paraître ignorer complètement sa supériorité sur la plupart de ceux qui l’entouraient, pour les avantages extérieurs ; en même temps qu’il reconnaissait avec une humilité vraie tout ce qui lui manquait en connaissances. C’était seulement dans les entreprises hardies, téméraires, imprudentes, que Guert ambitionnait toujours le premier rang.