Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 25, 1846.djvu/16

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Van du monde. Ils donnaient à leurs enfants très-peu d’instruction proprement dite, ce qu’ils pouvaient en ramasser par-ci, par-là ; mais ils leur inculquaient des leçons de probité non moins utiles que le savoir, si les deux choses étaient réellement inconciliables.

Une autre classe, en grande partie d’origine anglaise, élevait ses fils avec soin, et les envoyait en Angleterre dans les grands établissements d’instruction publique, et, pour finir, à l’Université. Les Littlepages n’étaient pas de ce nombre ; ni leurs goûts ni leur fortune ne les engageaient à prendre un si haut essor. Quant à moi, j’appris assez de grec et de latin d’un ministre anglais pour être en état d’entrer dans un collège. Le révérend Thomas Worden, recteur de la paroisse sur laquelle nous demeurions, passait pour un savant du premier ordre. Il était de tous les dîners, de toutes les fêtes, de toutes les réunions qui se donnaient à dix milles à la ronde. Ses sermons étaient courts, mais énergiques, et il traitait les prédicateurs qui parlaient une demi-heure, de phraseurs ignorants qui ne savaient pas condenser leurs pensées. Vingt minutes étaient sa mesure, quoique mon père l’eût entendu une fois aller jusqu’à vingt-deux. Quand le sermon ne durait que quatorze minutes, mon grand-père ne manquait jamais de protester qu’il était divin.

Quand je quittai M. Worden j’étais en état de traduire les deux premiers livres de l’Énéide et tout l’Évangile de saint Matthieu assez couramment, et alors la question fut de savoir à quel collège on m’enverrait : nous avions le choix entre deux, où les langues savantes et les sciences étaient enseignées avec un succès qui avait lieu d’étonner dans un pays si nouveau. C’étaient Yale, à New-Hawen, dans le Connecticut, et Nassau-Hall, alors établi à Newark, dans le New-Jersey. M. Worden haussa les épaules de pitié dès qu’on prononça leur nom ; il dit que la plus mince école primaire d’Angleterre valait cent fois mieux, et que tout élève des classes de grammaire à Éton ou à Westminster pourrait s’asseoir dans la chaire et en remontrer aux professeurs. Mon père, qui était né aux colonies, et qui de plus était colon dans l’âme, fut un peu piqué, tandis que mon grand-père, né dans la mère-patrie, mais élevé aux colonies, ne savait trop