Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 25, 1846.djvu/172

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tantôt derrière nous. Plus d’une fois on eût dit que les masses énormes, accumulées près de la ville d’Albany, allaient se détacher toutes ensemble, et, formant un torrent irrésistible, balayer toute la rivière ; néanmoins Guert poussait toujours en avant ; d’abord il savait qu’à l’endroit où nous nous trouvions aucune des deux rives n’était abordable ; ensuite, ayant vu plusieurs fois de pareilles débâcles, il s’imaginait que nous n’avions encore rien à craindre. Afin que le lecteur puisse apprécier exactement la nature du danger que nous courions, il peut être à propos de lui donner quelque idée des localités.

Les bords de l’Hudson sont en général hauts et escarpés ; dans quelques endroits, ce sont des montagnes ; on ne rencontre aucune plaine digne de ce nom avant d’approcher d’Albany ; et celles mêmes qui sont au sud de la ville, ne sont pas d’une grande étendue, comparées au cours du fleuve. Sous ce point de vue particulier, le Mohawk est une tout autre rivière ; on voit sur ses bords de grandes plaines qui, m’a-t-on dit, rappellent en miniature celles du Rhin. Quant à l’Hudson, il passe généralement dans la colonie pour un très-beau fleuve, et je me rappelle avoir entendu dire à des voyageurs très-instruits que c’était à peine si la majestueuse Tamise offrait plus de charmes et d’intérêt[1].

Là même où il y a des plaines sur les bords de l’Hudson, le pays garde à l’entour son caractère général ; ce sont de rudes escarpements, des collines abruptes, et même, en quelques endroits, notamment au nord et à l’est, des montagnes ; c’est au milieu de ces hauteurs que le fleuve trace ses sinuosités pendant un espace de soixante à quatre-vingts milles au nord d’Albany, recevant sur son passage le tribut de nombreuses rivières. Il change entièrement d’aspect à peu de distance au dessus de la ville ; l’influence de la marée se fait sentir alors ; il devient navigable, et il

  1. Cette remarque de M. Cornelius Littlepage pourra faire sourire le lecteur. Mais il y a cinquante ans, on ne concevait pas que rien de ce qui se faisait en Amérique pût valoir rien de ce qui se faisait en Angleterre. Un livre, un tableau, étaient condamnés d’avance, par cela seuls qu’ils avaient pour auteur un Américain ; les fruits mêmes et les productions du pays ne jouissaient que d’une médiocre estime. Aujourd’hui, c’est tout le contraire ; c’est la mode de vanter outre mesure tous les produits indigènes, quels qu’ils soient ; et l’Américain se complaît à s’admirer lui-même. On est passé d’une extrémité à l’autre ; il est probable que le premier changement nous conduira enfin près de la vérité.