Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 25, 1846.djvu/23

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mémorable pour moi. Parmi les spectateurs assemblés sur la route à cette occasion, se trouvaient quelques groupes de jeunes filles, qu’à leur mise on reconnaissait pour appartenir à la classe aisée, et qui avaient été entraînées aussi jusque-là, soit par leur curiosité, soit par celle de leurs bonnes. Dans un de ces groupes était une jolie enfant de dix à douze ans, qui attira surtout mon attention. Elle avait de grands yeux bleus d’une expression charmante, et les garçons de quatorze ans sont déjà sensibles à la beauté, quoique, en général, ils préfèrent les grandes demoiselles aux petites filles. Pompée se trouvait connaître Silvy, la négresse qui conduisait mon petit amour, qu’il salua du nom de miss Anneke (abréviation pour Anna Cornelia). Anneke me parut aussi un très-joli nom, et je rompis la glace en offrant quelques fruits que j’avais cueillis sur le bord du chemin. Mes fruits furent acceptés ; mes affaires allaient à merveille, et déjà je m’étais aventuré à demander si miss Anneke avait déjà vu un Patron, quel était le plus grand personnage, d’un Patron ou d’un gouverneur, quand un petit garçon boucher, en passant, coudoya rudement Anneke, lui enleva une pomme qu’elle tenait à la main, et je vis une larme couler des yeux de la pauvre enfant.

Je n’y pus tenir, et allongeai au drôle, entre les deux épaules, un coup qui lui fit comprendre que la petite fille avait un protecteur. Ce garnement était à peu près de mon âge et de ma force ; il me toisa un instant de la tête aux pieds, d’un air de mépris, puis il me fit signe de le suivre dans un verger qui était à quelques pas de distance. J’y courus en dépit des prières d’Anneke ; et Pompée et César me suivirent. Nous avions déjà mis habit bas quand ils arrivèrent ; car ils s’étaient demandé si l’on devait me permettre ou non de me battre. Pompée faisait valoir que cela retarderait le dîner ; mais César, qui avait voix prépondérante, prétendit que, puisque j’avais donné un coup, je ne pouvais refuser satisfaction. Par bonheur, M. Worden était un boxeur très-habile ; il m’avait donné, ainsi qu’à Dirck, d’excellentes leçons, et je les mis si bien à profit que le garçon boucher fut bientôt forcé de demander grâce. Il avait le nez en sang et l’œil poché ; j’avais bien aussi une ou deux balafres, mais ce fut