Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 25, 1846.djvu/240

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

déjà sentir son influence, car la maison n’avait que deux chambres ; l’une fut réservée aux femmes, tandis que nous autres hommes nous nous partagions la grange. Anneke et Mary Wallace prirent leur parti de la meilleure grâce du monde. Notre dîner, ou plutôt notre souper, se composa de pigeons grillés, gras et succulents : c’était la saison des pigeons, les bois en étaient remplis ; et l’on nous dit que nous pourrions nous en régaler tant que nous voudrions.

Le lendemain, vers midi, nous atteignîmes la première clairière du domaine de Ravensnest ; la contrée que nous parcourions n’offrait pas de grands accidents de terrain ; mais ses forêts à perte de vue lui donnaient un cachet particulier de grandeur. Nous passions alors sous une voûte élevée de jeunes branches qui commençaient à se couvrir de leur premier feuillage d’un vert tendre, et à gauche et à droite se dressaient des colonnes élancées de soixante, quatre-vingts, et quelquefois même cent pieds d’élévation ; les pins en particulier étaient véritablement majestueux, la plupart s’élevant à cent cinquante pieds, et quelques-uns à près de deux cents pieds de hauteur. Comme les arbres s’élancent vers la lumière dans les forêts, cela ne doit pas surprendre ceux qui sont habitués à voir la végétation circuler et se répandre depuis les sommets touffus jusqu’aux branches basses qui touchent presque la terre, ainsi qu’on le voit dans les plaines découvertes, ou au milieu des pelouses dans des régions plus anciennes. Dans les forêts vierges de l’Amérique, il y a très-peu de branchages le long des troncs d’arbres, et notre œil pouvait plonger à des distances considérables sous ces longs portiques verts, dont les colonnes seules, à force d’être serrées les unes contre les autres, finissaient par arrêter la vue.

Les clairières de Ravensnest n’avaient rien de bien attrayant ; c’était alors une opération lente et pénible, en même temps que très-coûteuse, que de défricher des terres, et de former un établissement. Herman Mordaunt me raconta, chemin faisant, ce qu’il lui avait fallu d’efforts et de sacrifices de tout genre pour décider une douzaine de familles à venir se fixer dans son domaine, et pour les y retenir ; d’abord il dut faire des baux réversibles sur trois têtes, ou bien de trente à quarante