Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 25, 1846.djvu/288

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nous atteignîmes la passe étroite qui sépare le lac supérieur du lac intérieur. C’est là que les îles sont en si grand nombre, et nous ne pouvions éviter de passer près de quelques-uns des bateaux, je dis de quelques-uns, car la ligne était rompue, chacun prenant le passage qui lui semblait le plus commode.

— Ohé ! du canot d’écorces, approchez ! cria un officier placé dans une des embarcations ; je veux savoir qui est là !

— Nous sommes des volontaires qui étions venus nous mettre sous les ordres du major Bulstrode ; pourriez-vous nous dire où est cet officier ?

— Pauvre Bulstrode ! il a reçu son affaire presque en débarquant, et je l’ai vu transporter à l’arrière-garde. Il ne pourra de longtemps ni marcher ni monter à cheval, si toutefois on parvient à lui conserver la jambe. Il a dû partir à bord du premier bateau qui a été détaché, et son intention était, m’a-t-on dit, de se faire porter jusqu’à l’habitation d’un ami, qui demeure à peu de distance, pour échapper aux horreurs d’un hôpital ambulant. Il ne manque pas de chevaux, et il pourrait se faire conduire en litière jusqu’au cap Horn, si la fantaisie lui eu prenait. Ce dont je suis bien sûr, c’est que s’il existe un bon gîte en Amérique, Bulstrode saura le dénicher. Pour moi, voilà un bras qui devra sans doute partir dès que nous serons arrivés au fort William-Henry, et une fois que j’en serai débarrassé j’aimerais fort à aller tenir compagnie au major. Que je ne vous arrête pas, messieurs. En voyant un canot d’écorces, j’ai cru de mon devoir de m’assurer si nous n’étions pas suivis par des espions.

Encore une victime de la guerre ! Ce malheureux parlait de se faire couper le bras, comme s’il se fût agi de se faire arracher une dent, et cependant je ne doute pas que, dans le fond de son cœur, il n’éprouvât de vives angoisses. Ainsi donc, Bulstrode allait se faire transporter à Ravensnest, car c’était là sans doute ce toit hospitalier sous lequel il voulait se faire traiter, et, en effet, où pourrait-il être entouré de soins plus dévoués ? L’avouerai-je ? cette idée m’était pénible, et j’aurais voulu aussi avoir reçu quelque bonne blessure qui me donnât le droit de retourner auprès d’Anneke et qui m’assurât sa tendre pitié.

Nous passâmes bientôt après devant un autre bateau, com-