Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 25, 1846.djvu/291

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frances physiques, toutes les angoisses déchirantes, toutes les profondes mortifications, qu’on aurait pu lire sur les visages, s’il eût été possible de les voir d’assez près. Nous venions de nous trouver mêlés à cette scène d’agonie humaine, et nos imaginations nous retraçaient des détails qui, à la hauteur où nous nous trouvions, étaient hors de la portée des sens.

Une semaine auparavant, le nom d’Abercrombie était dans toutes les bouches en Amérique ; c’était à qui placerait le héros sur le piédestal le plus élevé. Quelques heures avaient renversé l’idole. Ceux qui avaient mis le plus d’empressement à l’encenser étaient les premiers à lui jeter la pierre, et personne n’aurait eu le courage de prendre sa défense. Les hommes, déçus dans leur attente, ne sont jamais justes ; le cri de réprobation que pousse la foule est répété par chaque individu, qui soulage ainsi sa mortification et son orgueil blessé, sans croire sa responsabilité engagée, et la victime est immolée à la vindicte publique. Et cependant Abercrombie n’était pas un sot et stupide fanfaron comme Braddock s’était montré. Son malheur avait été d’ignorer comment il fallait faire la guerre dans le pays où il était envoyé, et, peut-être, de compter trop sur le courage réputé invincible des troupes qu’il commandait. Très-peu de temps après, il fut rappelé, et l’Amérique n’entendit plus parler de lui.

Dès que nous fûmes arrivés sur la hauteur, l’Onondago fit signe à Jaap d’allumer un grand feu, et il tira d’un dépôt qu’il avait eu la prudence de laisser dans cet endroit quelques provisions destinées à former notre déjeuner. Comme aucun de nous n’avait rien pris depuis la veille à la même heure, ce repas fut le bienvenu, et nous y fîmes grand honneur. Le nègre en eut naturellement sa part ; et ensuite la délibération s’ouvrit sur ce que nous allions faire.

Guert posa la question en ces termes : — Devons-nous aller droit à Ravensnest, ou bien nous rendre d’abord auprès de l’arpenteur, pour voir comment vont les choses de ce côté ?

— Il n’y a pas grand danger de poursuite de la part des Français, répondis-je, puisque toutes leurs embarcations sont sur l’autre lac ; et l’état du pays est à peu de chose près le même qu’avant le départ de l’armée.