Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 25, 1846.djvu/33

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dant un voyage à New-York n’était pas alors chose si commune. Je vois des messieurs de notre voisinage qui passent sous nos fenêtres presque toutes les semaines en allant ou en revenant ; mais il n’en était pas ainsi il y a trente ans. Ma bonne mère faisait toujours ce voyage deux fois par an ; une fois à Pâques, et l’autre fois à l’automne pour faire ses provisions d’hiver. Mon père le faisait bien jusqu’à quatre fois ; mais il avait la réputation d’un coureur, et l’on disait qu’on ne le trouvait jamais chez lui. Quant à mon grand-père, la vieillesse était venue, et il ne sortait plus guère, à moins que ce ne fût pour aller à des époques fixes rendre visite à de vieux amis qui demeuraient à peu de distance, et chez lesquels il ne manquait jamais de passer quelques semaines chaque été.

Le voyage dont je parle eut lieu peu de temps après Pâques ; c’était l’époque de l’année où beaucoup de familles de nos environs avaient l’habitude de se rendre dans la capitale pour avoir occasion d’assister aux offices qui se célébraient tous les jours dans l’église de la Trinité, de même que les Hébreux se rendaient à Jérusalem pour célébrer la Pâque. Ma mère n’avait pu faire le voyage à cause d’un accès de goutte de mon père, et ma tante Legge s’était fait une si douce habitude d’avoir auprès d’elle, à cette époque, quelqu’un de notre famille, que je fus envoyé pour la remplacer. Dirck avait des parents chez lesquels il pouvait loger, de sorte que tout se trouvait arrangé pour le mieux. Afin d’être prêt à partir avec moi, mon ami traversa l’Hudson une semaine d’avance ; et après qu’il eut pris quelques jours de repos nous nous élançâmes vers la capitale, montés sur deux des meilleurs coursiers qu’on pût trouver dans le comté, et je vous prie de croire que ce n’est pas peu dire.

Ma mère était la plus tendre des mères, et elle était pleine d’anxiété pour son fils unique ; elle savait qu’un voyage a toujours ses dangers, et elle tenait à ce que nous partissions de bonne heure, afin d’être sûre que nous arriverions avant la nuit ; grâce à Dieu, les voleurs de grand chemin étaient tout aussi inconnus alors dans les colonies qu’ils le sont aujourd’hui ; mais il y avait d’autres périls qui alarmaient l’excellente femme : tous les ponts n’étaient pas également sûrs ; les routes faisaient de longs cir-