Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 25, 1846.djvu/340

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le-champ de ne pas laisser échapper une occasion si favorable de mettre les leçons de Bulstrode à profit. Sa blessure, s’il faut tout dire, m’inspirait de vives inquiétudes.

Ce que je dis au commencement de cette entrevue, il me serait impossible de me le rappeler ; mais je réussis à me faire comprendre, ce qui n’arrive pas, je crois, à tous les amants dans des positions semblables. D’abord je dus être assez peu clair, assez incohérent ; mais le sentiment profond et vrai qui m’inspirait me fit triompher de ma timidité et me suggéra des expressions convenables. Vers la fin, si, comme je le crois, mes paroles furent en harmonie avec ce que j’éprouvais, je dus m’élever jusqu’à une certaine éloquence. Comme c’était la première occasion qui m’eût jamais été offerte de plaider ma cause directement, j’avais tant à dire, tant d’explications à donner, tant de circonstances en apparence indifférentes à faire valoir, que pendant les dix premières minutes, Anneke n’eut guère autre chose à faire que d’écouter. J’ai toujours attribué le sang-froid qu’elle put montrer pendant le reste de cette entrevue au temps qui lui fut ainsi accordé pour rassembler ses idées.

Chère Anneke ! comme sa conduite fut admirable dans cette soirée si précieuse pour moi ! C’était sans doute une situation extraordinaire pour parler d’amour ; cependant je ne sais si les sentiments n’ont pas alors plus de vivacité et de naturel qu’au milieu des habitudes calmes et raisonnées de la vie ordinaire. Je ne pus me dissimuler que ma jeune compagne semblait émue depuis le moment où j’avais commencé, et qu’elle paraissait n’écouter avec un tendre intérêt. Encouragé par ces apparences si douces à mon cœur, je me risquai à prendre une main, qui ne fut pas retirée. Ce fut alors que je trouvai des paroles qui amenèrent des larmes dans les yeux d’Anneke, et elle put me répondre.

— C’est, dit-elle, un moment si étrange, si extraordinaire pour parler de pareilles choses, Corny, que je sais à peine ce que je dois répondre. Ce qui me semble, du moins, c’est que des personnes entourées comme nous le sommes de dangers sérieux doivent avant tout être sincères. L’affectation n’a jamais été mon partage, et je ne prétends pas afficher une pruderie que vous