Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 25, 1846.djvu/354

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

je ne pus apercevoir aucune trace de mes amis. Je commençai à craindre que l’audacieux Albanien ne fût tombé dans quelque embuscade. Pendant que je faisais des efforts inouïs pour percer les ténèbres et découvrir le moindre objet, je me sentis toucher légèrement le coude, et je vis un sauvage à demi-nu, dans son costume de guerre, mais sans pouvoir distinguer ses traits. Je mettais la main sur mon couteau de chasse, quand la voix de Sans-Traces m’arrêta.

— Il a tort ! dit l’Onondago avec emphase ; il a la tête trop jeune — le cœur est bon — la main est bonne — la tête est mauvaise. Il y a trop de feu là-bas. — Ici il fait sombre — Cela vaut beaucoup mieux.

Cette critique caractéristique de la conduite du pauvre Guert servit à m’expliquer toute l’affaire. Guert s’était placé dans une position que Susquesus avait jugé prudent de quitter. Il s’était avancé jusqu’au bord du rocher, où il était exposé à la lueur de l’incendie, et où il courait nécessairement risque d’être vu. Cependant je ne l’apercevais nulle part, et je m’apprêtais à me diriger de ce côté, quand Sans-Traces me toucha de nouveau le bras, en me disant : Là !

C’était bien lui ! il était parvenu à atteindre avec sa petite troupe une saillie du roc, où ils étaient dans une position admirable pour faire feu sur ceux des ennemis qui tenteraient d’escalader la palissade, mais où ils se trouvaient à une distance dangereuse de l’habitation. Je reconnaissais bien là le caractère aventureux de Guert, et, tout en déplorant son imprudence, j’admirais son audace. Je n’avais ni le temps de le rejoindre, ni la possibilité de l’avertir du danger qu’il courait, et dont nous pouvions apprécier l’étendue, de l’endroit où nous étions, beaucoup mieux qu’il ne pouvait le faire lui-même. Lui et ses compagnons se dessinaient tous en relief sur ce fond lumineux. Chacun apprêtait ses armes et se disposait pour une décharge générale. Guert était le plus près du bord, presque suspendu sur l’abîme ; Dirck était à côté de lui ; Jaap, derrière Dirck ; le Sauteur, tout contre Jaap ; et les quatre colons, hommes braves et résolus, derrière le Sauteur.

Je retins mon haleine dans l’angoisse de l’attente, en voyant ainsi Guert et ses compagnons sortir en quelque sorte de terre,