Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 25, 1846.djvu/359

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leurs prisonniers ? Ne me cachez rien, Corny ; vous ne sauriez croire à quel point je suis maîtresse de moi. Oh ! ne me cachez rien !

Pauvre fille ! au moment où elle se vantait de son courage, elle tremblait de tous ses membres, et il y avait dans son sourire quelque chose de hagard qui était véritablement effrayant. Cette passion comprimée, qui avait si longtemps lutté contre la prudence, éclatait enfin. Je savais qu’elle aimait Guert ; depuis quelques mois surtout je n’avais pu conserver de doute à cet égard ; mais le contraste entre la réserve si grande qu’elle avait toujours montrée et cette explosion soudaine d’une douleur si intense et si vraie m’arracha le cœur. Je me hâtai de la faire asseoir, ne sachant que lui dire pour la consoler. Pendant ce temps ses yeux restaient fixement attachés sur les miens, comme si elle eût cherché, à l’aide de la vue seule, à découvrir la vérité. Que ce regard était inquiet, avide, et en même temps suppliant.

— Sera-t-il torturé ? murmura-t-elle enfin à mon oreille, d’une voix entrecoupée.

— À Dieu ne plaise ! m’écriai-je. Ils ont fait aussi prisonnier Jaap, mon esclave, et, s’ils infligent quelque supplice, il est plus que probable que c’est lui qui sera victime plutôt que M. Ten Eyck…

— M. Ten Eyck ! pourquoi l’appeler ainsi ? Vous l’appeliez toujours Guert depuis quelque temps. Vous êtes son ami ; ce n’est pas vous qui lui seriez moins attaché parce qu’il est malheureux.

— De grâce, calmez-vous, ma chère miss Wallace ; jamais mon attachement pour Guert ne subira d’altération.

— C’est ce que j’aimais à croire ; et combien l’amitié d’un homme tel que Corny Littlepage, qui a reçu de l’éducation, est un témoignage précieux en faveur des sentiments de Guert ! Aussi ai-je écrit à ma tante. Il ne faut pas se hâter de porter un jugement ; toute cette fougue de jeunesse passera, et nous verrons alors se développer de brillantes qualités. N’est-il pas vrai, Anneke ?

Anneke se jeta à genoux auprès de son amie, la serra dans ses bras, pencha sur son sein cette pauvre tête en feu, et l’y tint