Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 26, 1846.djvu/123

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quelques raisons particulières. Je me rétracte et je m’empresse de faire amende honorable.

— Je ne vois guère en quoi consiste la rétractation ; et vous me permettrez de dire que ce que j’apprends m’afflige, m’afflige beaucoup.

Voilà qui était étrange ! Ursule était évidemment de bonne foi : la pâleur de son visage, l’émotion extraordinaire qu’elle manifestait, l’attestaient suffisamment. Avouerai-je les folles idées qui me passèrent par la tête ? — Pourquoi pas ? J’ai promis la vérité, et je dois tout dire. — Ursule, pensai-je, est triste de découvrir que le seul homme qu’elle ait vu depuis un an, qui, par son éducation ou ses manières, pût faire impression sur elle, a le cœur déjà pris, à ce qu’elle croit ! Dans des circonstances extraordinaires, l’aveu si prématuré d’une préférence quelconque m’aurait révolté ; mais dans toutes les paroles d’Ursule comme dans sa manière d’être, il y avait tant de naturel, que je n’en éprouvai qu’un intérêt plus vif encore. C’est aux sentiments tumultueux qui s’élevèrent alors dans mon âme, que j’ai toujours attribué l’empire extraordinaire que cette étrange fille prit si vite sur mon cœur. Les passions subites peuvent paraître une chose ridicule, mais qui quelquefois n’en est pas moins réelle. Je suis convaincu qu’il suffit d’un coup d’œil, d’un sourire, d’un de ces mille moyens que la nature nous a donnés de communiquer nos sympathies, pour faire naître une passion ; mais pour qu’elle dure, il faut des qualités d’un ordre plus élevé. Dans le premier moment, l’imagination seule est excitée ; le cœur obéit ensuite à l’impulsion donnée, en cédant à une influence plus lente et plus raisonnée.

Toutefois mon illusion ne dura pas longtemps. Soit qu’Ursule eût compris les fausses interprétations auxquelles elle donnait lieu, — supposition que j’admets à peine ; elle était trop naïve pour cela : — soit plutôt qu’elle vît la nécessité de ne pas me laisser en suspens, elle s’expliqua. Ses explications furent-elles satisfaisantes, et faites avec assez d’adresse pour ne pas blesser la susceptibilité de l’amie dont elle possédait le secret, c’est ce dont jugeront ceux qui auront la patience de continuer la lecture de ces mémoires.