Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 26, 1846.djvu/132

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— Mais avec cette ferme et cette maison nous serons riches ! s’écria Ursule en frappant de joie dans ses mains. Je pourrai monter une petite école de jeunes filles, et aucune ne restera oisive ni inutile. Vous verrez qu’à la longue, monsieur Littlepage, vous vous en trouverez bien. J’aurai fait du moins ce que j’aurai pu pour vous témoigner ma reconnaissance pour toutes vos bontés.

— Je voudrais que toutes les jeunes personnes qui n’intéressent n’eussent jamais d’autre institutrice ; que, guidées par vos leçons, elles aient votre sensibilité, votre dévouement, votre naïve franchise, et je viendrai habiter cette terre, comme l’endroit qui aura le plus de rapports avec le Paradis !

Ursule parut s’alarmer un peu, comme si elle craignait d’en avoir trop dit, ou, plutôt peut-être, trop entendu. Elle se leva, me remercia précipitamment, quoique avec beaucoup de grâce, et se mit à desservir avec autant d’empressement et d’habileté que si c’eût été son état.

Telle fut ma première conversation avec Ursule Malbone, elle avec qui depuis lors j’en eus tant d’autres, et de bien différentes ! Quand je me levai pour chercher le porte-chaîne, c’était sous l’impression d’un sentiment d’intérêt aussi vif que soudain pour ma jeune compagne. Sans doute sa beauté y était pour quelque chose ; il ne serait pas dans la nature qu’il en eût été autrement ; mais c’était surtout sa droiture, sa candeur, son ingénuité, qui m’avaient ravi. Sans doute quelques-unes de ses actions auraient pu me faire éprouver une sensation pénible, si j’en avais entendu parler ; j’aurais pu trouver ses manières trop libres ; mais en la voyant, toute pensée semblable disparaissait, parce qu’on restait convaincu qu’elle n’agissait que d’après les inspirations de son cœur. Ainsi, lorsqu’elle avait pris ma main, il était évident qu’elle ne songeait qu’à son frère, et ce mouvement, qui dans toute autre occasion aurait pu prêter à la critique, ainsi expliqué était aussi touchant que naturel.

Quand je compare Priscilla Bayard à Ursule Malbone ! Sans doute, Priscilla avait aussi des charmes ; elle avait toutes les qualités qui distinguent une jeune personne bien élevée ; mais Ursule avait son caractère propre, et des principes, une déci-