Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 26, 1846.djvu/150

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

haut degré. Le peu d’attention que ces oiseaux semblaient faire à nos personnes n’était pas la moindre cause de ma surprise, et l’on eût dit que quelque influence extraordinaire se faisait sentir dans ce lieu. Il était étrange en effet de se voir entouré d’une semblable population, et qu’elle parût à peine s’apercevoir de notre présence. On eût dit que les pigeons étaient là dans un monde à eux, et que rien ne pouvait les troubler dans la possession de leur royaume.

Aucun de nous n’ouvrit la bouche dans les premières minutes. L’étonnement avait paralysé nos langues, et nous avancions lentement, à travers ces bataillons ailés, absorbés dans l’admiration des œuvres du Créateur. Nous aurions voulu parler, qu’il nous eût été très-difficile de nous entendre. Ce n’est pas que le pigeon soit un oiseau bruyant ; mais lorsqu’il y en avait un million, rassemblés sur le haut d’une colline, dans un espace de moins d’un mille carré, la forêt ne pouvait conserver son calme ordinaire, si solennel et si imposant. En avançant, j’offris de nouveau mon bras à Ursule, presque machinalement, et elle le prit avec la même distraction qui m’avait fait le lui offrir. Nous continuâmes à suivre ainsi le grave Onondago, qui s’enfonçait de plus en plus au milieu de cet essaim bourdonnant.

Dans cet instant il se fit un bruit qui, je ne le cacherai pas, fit refluer tout mon sang jusqu’à mon cœur. Ursule se cramponna à mon bras, avec cet abandon d’une femme qui sent qu’elle est incapable de se soutenir, et qu’elle a près d’elle quelqu’un qui possède sa confiance. Ses deux mains pressaient mon bras, et elle se serrait involontairement contre moi, ce qu’elle n’eût jamais fait si elle eût eu sa présence d’esprit. Ce n’était pas qu’elle fût effrayée. Son teint était animé, ses yeux charmants étaient pleins d’une surprise qui n’était pas sans mélange de curiosité ; mais elle était vivement excitée par la vue d’une scène qui eût mis à l’épreuve le courage le plus intrépide. Seuls, Susquesus et le porte-chaîne ne manifestaient aucune émotion : ils avaient déjà vu des perchoirs, et ils savaient à quoi ils devaient s’attendre. Pour eux, les merveilles de la forêt n’étaient point nouvelles. Appuyés sur leur carabine, ils souriaient de notre étonnement manifeste. Je me trompe, l’Indien n’alla pas même