Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 26, 1846.djvu/151

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jusqu’à sourire, car ç’aurait été laisser voir sur sa figure une impression quelconque ; cependant on pouvait deviner qu’il s’attendait à notre surprise. Mais il faut que je m’efforce d’expliquer ce qui ajouta si prodigieusement à l’effet premier de notre visite.

Pendant que nous admirions la scène extraordinaire qui nous entourait, un bruit retentit qui couvrit celui du battement continuel de tant de millions d’ailes, et que je ne saurais comparer qu’au piétinement d’une troupe innombrable de chevaux sur une route battue. Ce bruit d’abord se fit entendre dans le lointain ; mais à mesure qu’il s’approcha, il augmenta d’intensité, et finit par fondre sur nous, à travers la cime des arbres, comme un coup de tonnerre. L’air s’obscurcit tout à coup, et la place où nous étions devint aussi sombre que si nous eussions été à l’entrée de la nuit. Au même instant, tous les pigeons près de nous, qui étaient dans leurs nids, parurent en tomber, et l’espace immédiatement au-dessus de nos têtes fut complètement couvert de ces oiseaux. Le chaos lui-même n’aurait pu présenter ni une plus grande confusion, ni un plus affreux tumulte. Quant aux oiseaux, ils ne semblaient plus faire aucune attention à notre présence ; peut-être même leur nombre les empêchait-il de nous voir, car ils se pressaient entre Ursule et moi, nous frappant de leurs ailes, et semblant quelquefois sur le point de nous ensevelir sous une avalanche. Chacun de nous en prit dans ses mains plusieurs, qui furent rendus l’un après l’autre à la liberté. En un mot, nous paraissions littéralement être transportés dans un univers de pigeons. Cette partie de la scène avait pu durer une minute, quand l’espace autour de nous s’éclairait tout à coup, tous les oiseaux prenant leur volée et disparaissant au milieu du feuillage. Cet effet fut produit par le retour des femelles, qui avaient été à une assez grande distance, vingt milles pour le moins, se nourrir de faînes, et qui revenaient alors prendre la place des mâles dans leurs nids, ceux-ci allant à leur tour chercher leur nourriture.

J’ai eu depuis la curiosité de calculer à peu près le nombre des oiseaux qui avaient pu se trouver rassemblés en même temps à ce perchoir dans cette minute si mémorable. Sans qu’un pareil calcul puisse être bien exact, il y a cependant des moyens d’arriver