Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 26, 1846.djvu/173

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sur mes gardes. Avez-vous jamais vu quelqu’un de ces gens-là ?

— Je le crois. On rencontre toutes sortes de gens, quand on va et vient dans les bois. C’est un squatter déterminé, ce vieux qui est là-bas. Il s’appelle Mille-Acres. — Il dit qu’il a toujours mille acres en sa possession, quand il lui prend fantaisie de les avoir.

— Voilà qui indiquerait un riche propriétaire. — Mille acres ! c’est un très-joli morceau pour un vagabond, surtout quand il peut l’emporter avec lui, partout où il va. Le vieillard dont vous me parlez, c’est cet homme aux cheveux gris, n’est-ce pas ? Celui qui est à moitié vêtu de peau de daim ?

— Oui, c’est le vieux Mille-Acres. Il ne manque jamais de terres ; il en prend où il en trouve. Il a traversé, dit-il, le grand lac salé, et il a voyagé vers le soleil couchant, quand il était enfant. Il s’aide toujours lui-même. C’est un habitant du Hampshire-Grant. Mais, major, pourquoi son droit ne serait-il pas aussi bon que le vôtre ?

— Parce que nos lois ne lui en confèrent aucun. C’est une des conditions de la société dans laquelle nous vivons, que le respect qu’on doit avoir pour la propriété des autres ; et ces terres sont notre propriété, et non la sienne.

— Le mieux est de n’en rien dire. Pas besoin de dire tout. Ne parlez pas de vos terres. S’il vous prend pour un espion, il pourrait bien tirer sur vous. Les Visages Pâles tirent sur les espions ; pourquoi l’homme rouge n’en ferait-il pas autant ?

— On ne tire sur les espions qu’en temps de guerre ; mais, guerre ou paix, vous ne pensez pas que ces gens en viennent à de pareilles extrémités ? Ils craindront les rigueurs de la loi.

— La loi ! Que leur fait la loi ? Ils n’ont jamais vu la loi ; ils n’en approchent pas ; ils ne la connaissent pas.

— En tout cas, j’en courrai le risque ; car en ce moment la faim est pour moi un stimulant aussi actif que la curiosité et l’intérêt. Mais il n’est nullement nécessaire que vous vous exposiez, Susquesus ; restez en arrière et attendez le résultat. Si l’on m’arrête, vous pourrez en porter la nouvelle au porte-chaîne, qui saura où me chercher. Restez ici, et laissez-moi approcher seul. — Adieu.