Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 26, 1846.djvu/184

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naissais tous les sentiers détournés, j’épiai le bon moment, je n’esquivai sans être vu, et je regagnai ma hutte aussi tranquillement que si je revenais du marché le plus voisin. Jamais je n’ai fait de voyage plus profitable, et il ne dura pas longtemps.

Le vieux squatter s’interrompit pour rire, et il le fit aussi franchement et d’aussi bon cœur que si sa conscience ne lui eût jamais rien reproché. C’était une anecdote qui lui semblait charmante, et je la lui entendis raconter trois fois pendant le peu de temps que je passai avec lui. Je surpris pour la première fois un léger sourire sur la figure de Zéphane ; mais je n’avais pu m’empêcher de remarquer que ce jeune homme, qui avait un aspect mâle et rude, avait constamment les yeux fixés sur moi, de manière à m’embarrasser.

— Voilà une corvée qui fut très-heureuse pour vous, lui dis-je quand sa gaieté se fut modérée, surtout si vous ne vous crûtes pas obligé à restitution.

— Et pourquoi donc ? le congrès était assez pauvre, j’en conviens ; mais, après tout, il était plus riche que je n’étais et que je ne serai jamais. Quand un objet change de mains, le titre passe avec la chose, et il y en à qui prétendent que ces terres, venant du roi, doivent à présent retourner au peuple, suivant que chacun en a besoin. Cela me semble assez juste, et je ne serais pas étonné qu’un jour ou l’autre, la loi elle-même en jugeât ainsi. Hélas ! pauvre nature humaine, on te retrouve toujours !

L’homme qui a mal agi s’ingénie toujours à trouver quelque excuse. Lorsque son esprit est perverti par l’influence de ses passions, et surtout de la rapacité, il ne manque jamais d’invoquer des principes nouveaux pour sa défense, et il en inventerait au besoin qui pourraient être très-bons, s’ils étaient appliqués avec vérité et de bonne foi. C’est précisément là le côté faible de nos institutions. Tant que la loi représente l’autorité d’un individu, elle est active, elle est vigilante, à cause même de l’intérêt particulier qu’elle protège ; mais quand elle représente l’autorité du peuple, la responsabilité se partageant à l’infini, il ne faut rien moins que des abus criants pour l’exciter à se mettre sur la défensive. Nouvelle preuve que, dans la conduite des affaires ordinaires de la vie, l’intérêt est plus fort que les principes.