Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 26, 1846.djvu/220

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selle de son front comme l’eau qui tombe d’une gouttière. Vous avez mal commencé, vous finirez mal.

Je vis le nuage se former sur la figure du squatter, et je prévis que la tempête allait éclater. Deux caractères également ardents se trouvaient en présence, et, divisés comme ils l’étaient par l’abîme qui sépare le bien du mal, la droiture de la malice, et des principes fermes, inébranlables, de cette morale flexible toujours subordonnée à l’intérêt, une collision semblait inévitable. Ne pouvant répondre au raisonnement du porte-chaîne, le squatter eut recours à l’argument de la force. Il saisit mon vieil ami à la gorge et fit un violent effort pour le précipiter à terre. Je dois rendre à cet homme brutal et vindicatif la justice de dire que je ne crois pas que, dans ce moment, son intention fût d’appeler à son secours ; mais, à l’instant où la lutte commença, la conque se fit entendre, et il était facile de prévoir que ses fils ne tarderaient pas à accourir. J’aurais donné tout au monde pour pouvoir renverser les murs de ma prison, et voler au secours de mon excellent ami. Quant à Susquesus, il prenait, sans doute, un vif intérêt à ce qui se passait, mais il demeurait ferme et immobile comme un roc.

André Coejemans, tout âgé qu’il était, — il avait aussi ses soixante-dix ans sonnés, — n’était pas homme à se laisser prendre impunément à la gorge. Mille-Acres trouva à qui parler à l’instant même, et la lutte qui s’engagea fut des plus acharnées, surtout si l’on considère que les deux combattants avaient dépassé les limites ordinaires de la vie. Le squatter avait obtenu un léger avantage qu’il devait à ce que son attaque avait été aussi vive qu’imprévue ; mais le porte-chaîne était encore d’une vigueur extraordinaire. Dans son temps il avait eu peu d’égaux, et Mille-Acres ne tarda pas à éprouver qu’il avait trouvé son maître. Si un instant le porte-chaîne avait paru fléchir, il se redressa tout à coup, fit un effort désespéré, et son adversaire fut lancé à terre avec une violence qui le priva un moment du sentiment. Le vieil André resta aussi droit que le plus élancé des pins qui l’environnaient, le teint animé, le front plissé, l’air plus menaçant que je ne l’avais jamais vu, même un jour de bataille.

Au lieu de poursuivre son avantage, le porte-chaîne ne bougea