Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 26, 1846.djvu/299

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Dès que les dispositions nécessaires eurent été prises dans notre hôpital, je dis à Ursule que nous allions la laisser avec Laviny auprès des blessés, qui tous deux semblaient disposés à s’assoupir, tandis que tous les autres se retireraient et iraient se loger dans les autres bâtiments. Malbone devait rester en sentinelle à peu de distance de la porte, et je promis devenir le rejoindre dans une heure.

— Laviny pourvoira aux besoins de son père, tandis que vous, ma chère Ursule, je sais que vous aurez les soins les plus tendres de votre oncle. Une goutte à boire de temps en temps est tout ce qui peut alléger leurs souffrances.

— Laissez-moi entrer ! interrompit une voix rauque à la porte, et une femme se fraya violemment un passage à travers plusieurs hommes qui voulaient la retenir. Je suis l’épouse d’Aaron, et l’on me dit qu’il est blessé. Dieu lui-même a ordonné qu’une femme n’abandonne jamais son mari ; et Mille-Acres est le mien. Qu’il ait été meurtrier, qu’il ait été victime à son tour, il n’en est pas moins le père de mes enfants !

Il y avait quelque chose de si imposant dans l’émotion naturelle de cette femme, que toute résistance cessa aussitôt, et Prudence entra dans la chambre. Ses yeux tombèrent d’abord sur le lit du porte-chaîne ; mais il n’y avait rien là qui pût les arrêter. Ils se portèrent rapidement sur l’autre lit, où était étendu le vaste corps de Mille-Acres, et alors ils y restèrent fixés quelque temps. Elle avait vu trop d’accidents de ce genre dans le cours d’une longue vie, elle s’était assise au chevet de trop de blessés, pour ne pas comprendre l’état désespéré de son mari dès qu’elle eut examiné ses traits livides. Se tournant alors du côté de ceux qui étaient près d’elle, elle sembla chercher sur qui faire tomber sa vengeance. J’avouerai qu’une sorte de frisson parcourut tous mes membres, quand j’entendis cette femme grossière et sans éducation, exaltée par son désespoir, demander d’un ton d’autorité :

— Qui a fait cela ? Qui a tranché les jours de mon homme avant le temps marqué par le Seigneur ? Qui a osé me rendre veuve et rendre mes enfants orphelins, contre toute loi et toute justice ? Je l’avais laissé assis à cette place, tout triste et tout consterné