Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 27, 1847.djvu/241

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moi de passer sur les heureuses terres de chasse de mon peuple et de redevenir un peau-rouge. Mais mon nom n’a pas été appelé. J’ai été laissé seul ici au milieu des faces pâles, au milieu de leurs champs, de leurs maisons, de leurs villages, sans aucun être de ma couleur et de ma race auquel je pusse adresser la parole. Ma tête était presque blanche. Cependant, à mesure que les années descendaient sur ma tête, l’esprit se tourna davantage sur ma jeunesse. Je commençai à oublier les batailles, les chasses et les voyages de mon âge mûr, et à penser aux choses qui se passaient quand j’étais un jeune chef chez les Onondagoes. Mes jours sont maintenant des songes, dans lesquels je rêve du passé. Pourquoi l’œil de Susquesus voit-il si loin, après cent hivers et plus ? Quelqu’un peut-il le dire ? Je ne le crois pas. Nous ne comprenons pas le Grand Esprit, et nous ne comprenons pas ses actes. Me voici ici, où j’ai passé la moitié de mes jours. Ce grand wigwam est le wigwam de mes meilleurs amis. Quoique leurs faces soient pâles et la mienne rouge, nos cœurs sont de la même couleur. Je n’oublierai jamais ceux-là, non, pas un d’entre eux. Je les vois tous, depuis le plus vieux jusqu’au plus jeune. Ils semblent être de mon sang. Cela vient de leur bonté et de plusieurs preuves d’affection. Ceux-ci sont toutes les faces pâles que je vois. Les hommes rouges sont devant mes yeux, partout et en tous lieux. Mon cœur est avec eux.

— Mes enfants, vous êtes jeunes. Soixante-dix hivers sont beaucoup pour chacun de vous. Il n’en est pas ainsi de moi. Pourquoi ai-je été laissé seul ici, debout près des terres de chasse de nos pères ? Je ne saurais le dire. Il en est ainsi, et ce doit être bien. Un sapin desséché se voit quelquefois isolé dans les champs des faces pâles. Je suis un arbre semblable. On ne l’abat pas, parce que le bois ne vaut rien, et que les squaws n’en veulent pas pour leur cuisine. Quand les vents soufflent, ils semblent souffler autour de l’arbre. Il est fatigué de rester là seul, mais il ne peut pas tomber. Cet arbre appelle la hache, mais aucun homme ne porte la hache à sa racine. Son temps n’est pas venu. Ainsi en est-il de moi ; mon temps n’est pas venu.

— Enfants, mes jours maintenant sont des rêves de ma tribu. Je vois le wigwam de mon père. C’était le meilleur du village. Il était un chef, et la venaison n’était jamais rare dans sa demeure. Je le vois venir sur le sentier de guerre avec beaucoup de chevelures pendues à son croc. Il avait beaucoup de wampum, et portait